Ombres et lumières sur la signification des jugements aux justiciables étrangers

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Jefferson Larue - Avocat - Norton RoseLa Cour de Cassation vient de préciser que le domicile élu en France par un demandeur étranger en vertu de l'article 855 du Code de procédure civile ne constitue pas une adresse valable pour la signification du jugement. Pour autant, elle laisse ouverte la question de savoir si, en cas d'élection de domicile en France aux fins de signification, il est possible de s'affranchir des règles internationales, en particulier le Règlement communautaire du 13 novembre 2007. Jefferson Larue, Avocat, Norton Rose, nous livre son analyse de cette décision.

Cour de Cassation - 2ème chambre civile - 2 décembre 2010 - Pourvoi n°09-65.987

1.    Faits et procédure

Un litige  mettait aux prises une société française et une société, demanderesse à l’instance, ayant son siège en Italie, devant un tribunal de commerce français. En application de l’article 855 du Code de procédure civile(1), le demandeur élit domicile en France, au cabinet de son conseil.
Le jugement rendu par le Tribunal de commerce lui étant favorable, le défendeur français le fit signifier en France à son adversaire italien. Le juge saisi de l’exécution forcée jugea que la signification en France était irrégulière, l’article 682, qui autorise la signification du domicile élu en France par une « partie demeurant à l’étranger » n’était pas, selon lui, applicable aux parties de nationalité étrangère.
Quelques mois plus tard, la société française fit procéder à une seconde signification, en Italie cette fois, ce qui conduisit son adversaire italien(2) à faire appel.

La société française ayant invoqué la tardiveté de l’appel, la question se posa de savoir à quelle date avait commencé à courir le délai d’appel, ce qui revenait à poser, pour la seconde fois, la question de la régularité de la signification faite en France.

Constatant que la société italienne avait bien élu domicile en France et qu’elle n’avait pas déchargé son avocat de la mission de la représenter, la Cour d’appel jugea que la signification en France était valable(3) .

La société italienne forma un pourvoi au motif que la signification d’un jugement à une partie domiciliée en Italie devait obligatoirement être effectuée selon les modalités relatives aux significations internationales, en l’occurrence le Règlement communautaire 1393/2007 du 13 novembre 2007.

L’arrêt est censuré par la Cour de Cassation au motif que « l’élection de domicile imposée par l’article 855 (…) n’emporte pas pouvoir pour la personne chez laquelle domicile de recevoir la signification du jugement destinée à la partie elle-même ».


2.    Analyse de la décision

Le pourvoi formé par le demandeur italien mélangeait deux questions : celle de la détermination du domicile et celle de la modalité de signification applicable lorsqu’un demandeur étranger a bien fait élection de domicile en France au sens de l’article 682.

Sur la première question, la Cour de Cassation considère que la société italienne n’avait plus de domicile élu en France au moment de la signification du jugement.

La solution peut se justifier par le fait que l’élection de domicile faite en vertu de l’article 855 a pour objet l’instance judiciaire. Or, cette dernière prend fin dès que le juge prononce sa décision. L’instance est donc terminée lorsque survient la signification, de sorte que la domiciliation perd alors son objet.

La solution inverse conduirait à dispenser le défendeur français d’avoir à signifier dans le pays de son adversaire, sans pour autant que ce dernier n’ait renoncé à un tel mode de signification. Cela induirait par ailleurs une inégalité de traitement selon que l’adversaire étranger est en demande ou en défense, la domiciliation prévue par l’article 855 ne s’appliquant qu’au premier.

La Cour de Cassation ne s’est en revanche pas prononcée sur la question de la modalité applicable lorsqu’un jugement doit être signifié à une partie étrangère qui a effectivement élu domicile en France au sens de l’article 682.

Certains auteurs considèrent que les dispositions relatives aux significations internationales  sont des règles spéciales qui, en tant que telles, doivent prévaloir sur l’article 682. Rien n’est moins certain car le principe en la matière est que la signification soit faite au lieu ou demeure le destinataire. L’article 682 apparait ainsi comme une dérogation au principe, contrairement aux règles relatives aux significations internationales qui, pour la plupart, conduisent à signifier le jugement au domicile étranger du destinataire(5).

D’autres considèrent encore que l’article 682, qui n’est pas placé dans la section du Code de procédure civile relative aux notifications internationales(4), ne s’appliquerait pas aux litiges « internationaux ». Cependant, le texte vise expressément « la partie demeurant à l’étranger ».

Il n’existe semble-t-il aucun argument décisif permettant de trancher, si tant est que la question de la prévalence d’une modalité sur l’autre se pose. En effet, rien ne semble interdire que la partie qui fait signifier ait le choix entre domicile élu ou le domicile étranger de son adversaire. Il appartiendra à la jurisprudence de confirmer le cas échéant.  A ce titre, il est intéressant de relever que le Règlement du 13 novembre 2007 n’est applicable que « lorsqu’un acte (…) doit être transmis d’un Etat membre à un autre » et qu’il « ne devrait pas s’appliquer à la signification et à la notification d’un acte au représentant mandaté d’une partie dans l’Etat membre où l’instance a lieu ».

Notes

(1) L’article 855 prévoit que si le demandeur réside à l’étranger, l’assignation doit contenir, à peine de nullité, les nom, prénom et adresse de la personne chez qui il élit domicile en France.
(2)  L’article 682 dispose en effet que la signification d’un jugement à une partie demeurant à l’étranger peut valablement être faite au domicile que celle-ci a élu en France.
(3)  Cour d’appel de Paris, Chambre 5, section B, 27 novembre 2008, n°08/10239.
(4)  Il s’agit des articles 683 et suivants du Code de procédure civile, qui décrivent la procédure à suivre, « sous réserve de l’application des règlements communautaires et des traités internationaux ».
(5)  Article 689 du Code de procédure civile.