L’obligation de discrétion du défenseur syndical jugée trop faible?

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Muriel Assuline

Le 18 janvier 2017, le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions de la loi "Macron" concernant le défenseur syndical et son obligation de discrétion, au motif qu’elles violent le principe d’égalité des justiciables. Le justiciable peut-il être affecté dans ses droits au procès équitable du fait d’être représenté par un défenseur syndical, soumis à l’obligation de discrétion, et non par un avocat, soumis au secret professionnel ?

Le Conseil National des Barreaux (CNB) a demandé au Conseil d’Etat, à l’appui de sa requête en annulation du décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC concernant la conformité des dispositions du 19° au 21° du I et du II de l’article 258 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite loi "Macron").

Ces dispositions ont inséré dans le Code du travail des dispositions créant un statut du défenseur syndical reconnu aux personnes qui peuvent exercer des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale.

Selon l’article L. 1453-8 du Code du travail :

"Le défenseur syndical est tenu au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication.
Il est tenu à une obligation de discrétion à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une négociation.
[…]"

Ainsi, le défenseur syndical semble n’être tenu qu’à une obligation de discrétion à l’égard des informations présentant un caractère confidentiel et c’est ce que reproche le Conseil National des Barreaux. Cette obligation semble apporter trop peu de garantie pour le justiciable représenté ou assisté devant la justice prud’homale, en comparaison de ce que garantit une obligation au secret professionnel.

Pourtant, l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, prévoit que l’ensemble des échanges et correspondances entre l’avocat et le client qu’il assiste ou représente devant le conseil de prud’hommes et la cour d’appel en matière prud’homale est couvert par le secret professionnel.

Le CNB considère alors que le législateur a méconnu le principe d’égalité des justiciables devant la loi.

Caractérisant de sérieuse la QPC du CNB, le Conseil d’Etat l’a logiquement renvoyée au Conseil Constitutionnel.

Le fort impact du secret professionnel sur le principe d’égalité des justiciables

Le secret professionnel est un droit fondamental hautement protégé par le droit de l’Union européenne. Il conditionne l’accès à la justice et le maintient de l’état de droit.

Dans l’affaire "AM & S c. Commission", la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu que le maintien de la confidentialité de certaines communications entre avocat et client constitue un principe général du droit qui est commun aux droits de tous les Etats membres (CJUE, AM & S c. Commission (155/79), 18 mai 1982). Selon la Cour, la protection de la confidentialité des communications écrites avocat-client est un corollaire essentiel des droits de la défense.

De plus, la Cour européenne des droits de l’Homme se réfère à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) concernant le droit à un procès équitable pour protéger le secret professionnel. Ainsi, le secret professionnel et le droit à un procès équitable se trouvent étroitement liés.

Il y a donc une importance fondamentale à garantir le secret professionnel sans lequel, le justiciable voit ses droits fondamentaux bafoués.

A cet effet, le Conseil des Barreaux de l’Union européenne (CCBE) a émis des recommandations sur le secret professionnel. Ce qui démontre une fois de plus l’importance accordée au secret professionnel par les instances représentatives de la profession d’avocat.

C’est donc dans une logique de protection maximale du justiciable que le CNB reproche au législateur de n’avoir tenu le défenseur syndical qu’à une obligation de discrétion et non au secret professionnel.

Or, même s’il ressort de ce choix la volonté de faire la différence entre l’obligation pesant sur un avocat et celle qui s’impose à un défenseur syndical, il reste néanmoins que la différence de traitement que subit le justiciable dans le respect de ses droits fondamentaux selon la personne qui le représente n’est pas concevable.

Muriel Assuline, avocate du cabinet Assuline & Partners


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