La suspension du "décret Trump" ou la fonction présidentielle à l’épreuve de la Constitution

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Floriane BeauthierDans tout État de droit, la norme fondamentale s’impose à tous les sujets, au premier rang desquels le chef de l’État, garant de la Constitution. La récente suspension par la justice américaine du décret sur l’immigration signé le 21 janvier 2017 par le président Donald Trump rappelle cette sujétion évidente mais nécessaire de la plus haute autorité de l’État à la règle de droit.

I. C’est parce que les gouvernants ont longtemps confondu pouvoir et droit que les gouvernés n’ont cessé de combattre pour le respect de leurs droits et contre l’arbitraire.

La lutte multiséculaire contre l’arbitraire royal a permis d’arracher au souverain la Magna Carta (1215), fondement de la légalité constitutionnelle dans les pays anglophones, puis l’Habeas Corpus (1679) et le Bill of Rights (1689).

Forts de ces conquêtes et imprégnés de la philosophie des Lumières, les « pères fondateurs » américains tout comme les rédacteurs de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ont érigé au rang suprême les principes d’une stricte séparation des pouvoirs ainsi que du respect du « rule of law », ou principe de légalité.

II. En France, tous les actes adoptés par le président de la République ne sont pas susceptibles d’être contrôlés par le juge. Les « actes de gouvernement » ne peuvent, par nature, lui être soumis, à savoir : les actes qui concourent à l’exercice de la fonction parlementaire (dissolution de l’Assemblée nationale) ou qui concernent les relations internationales de la France ; ceux qui touchent à des opérations ou faits de guerre (décision d’autoriser les avions militaires américains et britanniques accomplissant des missions en Irak à emprunter l’espace aérien français) ; enfin, les actes « politiques » du président (nomination d’un membre du Conseil constitutionnel).

Cette catégorie d’actes échappant à la censure juridictionnelle reste limitée, et la plupart des décrets réglementaires et individuels signés par le chef de l’État sont susceptibles de recours en annulation devant le Conseil d’État.

Deux procédures peuvent par ailleurs conduire à en suspendre l’exécution dans de brefs délais. Le référé suspension peut être engagé lorsque l’urgence le justifie et qu’est présenté un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Plus rapide, le référé liberté permet de saisir le Conseil d’État en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale par la décision présidentielle ; le juge des référés doit alors se prononcer dans les 48 heures. C’est une procédure jumelle qui a été mise en œuvre aux États-Unis à l’encontre du décret sur l’immigration.

III. Ce décret censé éviter la venue de terroristes sur le sol américain interdit pendant 90 jours l’accès du territoire américain aux ressortissants de sept pays de population à majorité musulmane ; pendant 120 jours, l’accueil de tout réfugié aux États-Unis ; et sans limite de durée, l’accueil de tous les réfugiés syriens.

Les contre-pouvoirs américains – justice, médias, entreprises, société civile – se sont immédiatement mobilisés contre ce décret, jugé discriminatoire et attentatoire aux libertés de culte et d’aller et venir.

Des cours fédérales ont permis que des personnes détentrices de titres de séjour légaux, mais retenues dans des aéroports, puissent entrer aux États-Unis. Sur le fond, le juge James Robart a ensuite suspendu l’exécution du décret ; cette décision, rendue par un juge fédéral, s’étend de jure à l’ensemble du territoire américain.

En appel, le département de la Justice a soutenu que selon l’article 2 de la Constitution, le président avait toute autorité pour conduire les affaires étrangères et diriger la politique d’immigration ; qu’en vertu d’une loi de 1952, il était en droit de suspendre l’entrée d’une catégorie d’étrangers lorsqu’il estime que cette arrivée « serait néfaste aux intérêts des États-Unis » ; qu’enfin, la justice serait peu qualifiée pour décider en matière de sécurité nationale. Autrement dit, ce décret serait… un « acte de gouvernement » échappant au contrôle juridictionnel. Les juges de la cour de San Francisco ont écarté cette thèse à l’unanimité le 9 février 2017.

Ces décisions judiciaires ont été considérées à juste titre comme le triomphe de l’État de droit. Selon Bob Ferguson, attorney général de l’État de Washington, « la Constitution a vaincu aujourd’hui. Personne n’est au-dessus de la loi, pas même le président ».

La Cour suprême ne devrait pas être saisie du dossier ; admettant implicitement sa défaite, le gouvernement Trump prépare un nouveau projet de décret lequel, malgré quelques retouches formelles, n’en vise pas moins les mêmes pays. La vigilance demeure donc impérieuse pour la sauvegarde de l’héritage démocratique des États-Unis, mais aussi des droits fondamentaux des personnes désireuses de fouler le sol américain – terre d’immigration par excellence.

Floriane Beauthier, avocate au sein du cabinet Delaporte & Briard


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