Art : on a frôlé le "vrai" casse du siècle !

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Olivier Savelli

20 mai 2010 : le monde de l’art est secoué par l’un des « casses » les plus significatifs de ces dernières années : le vol de cinq tableaux au Musée d’Art Moderne à Paris, d’une valeur estimée de cent millions d’euros. Pourtant, le « casse » du siècle a failli être réalisé quelques jours plus tôt...

Par Olivier Savelli,  Proskauer LLP

...et mieux encore, de façon parfaitement légale, par l’État du Mexique ! La justice française vient de trancher et en a toutefois décidé autrement.

Retour en arrière : 12 septembre 2008 : petit séisme quand les policiers de l’Office Central de lutte contre le trafic de Biens Culturels (OCBC) débarquent dans l’étude des commissaires priseurs Binoche et Bergé la veille d’une vente d’une centaine d’objets d’art précolombien issus de collections privées et saisissent tous les objets ! Motif : l’État du Mexique a sollicité du Ministère de la Justice en France l’application de la convention d’entraide judiciaire du 27 janvier 1994 qui lie les deux pays.

Cette convention s’applique, comme la plupart des conventions, dès lors qu’un crime ou un délit a été commis. Celui de l’espèce ? La loi mexicaine du 8 mai 1972 punit jusqu’à dix ans d’emprisonnement quiconque détient des objets d’art précolombien, « qui sont le produit de civilisations antérieures à l’établissement de la culture hispanique sur le territoire du Mexique » - la loi dispose que ces objets sont inaliénables et sont la propriété de la Nation mexicaine.

Dès lors, en application de cette loi, qui ne souffre d’aucune difficulté d’interprétation, les propriétaires des objets présumés « volés » sont des délinquants, et les objets doivent donc être restitués à leur véritable propriétaire : la Nation mexicaine !

Pourquoi parler de casse du siècle pour une centaine d’objets ? Parce que si jamais la justice française avait fait droit à la demande de l’État du Mexique, ce sont bien tous les objets d’art précolombien rentrant dans le champ d’application de la loi mexicaine que les propriétaires privés ou publics auraient dû restituer - y compris les musées - et, avec la contagion de cette affaire pour tous les autres et très nombreux pays qui ont une législation similaire (en Amérique Latine, en Afrique, au Moyen-Orient), celui du Quai Branly aurait certainement dû fermer ses portes.

Mais de nombreux États n’ont-ils pas déjà réclamé la restitution des objets en provenance de leur territoire ? En quoi la démarche de l’État du Mexique était-elle plus menaçante ? En effet, le Nigéria, l’Argentine, l’Équateur, l’Iran et bon nombre d’autres pays ont déjà intenté des procédures judiciaires en France contre les propriétaires d’objets d’art en provenance de leur pays. Ces actions étaient toutefois de nature civile, et elles étaient tranchées par le Tribunal de Grande Instance. A chaque fois, le pays requérant a été débouté. Conscient de cette jurisprudence peu favorable, l’État du Mexique a fait preuve de créativité juridique en sollicitant une commission rogatoire internationale. Il s’agit très certainement de la première fois que cet outil juridique est appliqué en pareil cas. Sa première conséquence est de politiser le dossier : la demande de l’État du Mexique, la saisie et la restitution des pièces, passe par le Ministère de la Justice, Mme Rachida Dati à l’époque. La deuxième conséquence est son apparente facilité d’application, en application du syllogisme suivant : une infraction a été commise en application de la loi mexicaine, la France et le Mexique se sont engagés à s’entraider en matière judiciaire, donc la France doit aider le Mexique et lui restituer les objets concernés.

Heureusement, la justice veille, et le juge d’instruction nommé pour appliquer cette commission rogatoire internationale ordonne finalement le 21 avril 2010 la mainlevée de la saisie des objets, et la restitution à leurs propriétaires.

Pour ce faire, il reprend à son compte l’argumentation validée par les Tribunaux de Grande Instance ayant déjà eu à se prononcer sur le sujet : en application de l’article 2279 du Code Civil, en fait de meuble, la possession vaut titre, et le possesseur d’objets est réputé de bonne foi. C’est donc au requérant, l’État du Mexique, de prouver qu’il y a bien eu un vol pour renverser cette présomption, et pour cela fournir des « éléments précis » - impossible à réaliser en l’espèce, comme dans la plupart des cas.

Ce protectionnisme judiciaire ne va toutefois pas dans le sens du courant, il apparaît même comme l’un des derniers remparts pour protéger les propriétaires d’œuvres d’art : aux États-Unis, un Tribunal de Floride a jugé le 7 octobre 2009 dans un sens exactement contraire au juge français que le propriétaire d’un sarcophage égyptien avait à charge de prouver que cet objet n’était pas volé. Même en France, la toute récente loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 permet autoritairement la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Est-ce un signe vers la ratification par la France de la Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés du 24 juin 1995, signée par la France, mais toujours pas entrée en vigueur faute de ratification ? Cette convention qui facilite la restitution des objets présumés volés à l’État d’origine mettrait certainement fin à la jurisprudence protectrice française.

A ce rythme, et sans préjuger du bien fondé de ces dispositions, on ne peut que conseiller à un futur acquéreur d’un objet d’art de provenance étrangère de réaliser un audit juridique sur la loi du pays d’origine pour ainsi évaluer le risque qu’il aura à le restituer dans le futur !