Sylvie Caccia (Roche) : "Mon rôle, en tant que Directeur juridique et Compliance, est d’être un apporteur de solutions performantes et compliantes"

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sylvie cacciaLe Monde du Droit a interrogé Sylvie Caccia, Directeur Juridique et Compliance de Roche France.

Comment avez-vous intégré Roche ?

J’ai une formation de juriste en droit des affaires (DJCE).
C’était vraiment un choix d’exercer mon métier au sein d’une entreprise plutôt qu’un cabinet d’avocat. J’ai besoin de défendre quelque chose qui me soit proche, un produit très spécifique auquel je crois. J’ai toujours exercé mon métier dans des entreprises qui avaient un fort esprit d’entreprise : Socomec, puis Fromageries Bel avant de rejoindre Roche au moment de l’affaire de l’entente des vitamines. Roche recherchait de l’expertise nécessaire en droit de la concurrence ce qui était une matière essentielle pour moi. J’ai débuté chez Roche comme responsable juridique mais rapidement je suis devenue compliance officer pour mettre en place un large programme de compliance (engagement pris par Roche à la suite de l’entente des vitamines).

Comment voyez-vous votre rôle ?

La compliance est devenue pour moi un levier. Je suis persuadée que c’est une voie créatrice de valeur pour l’entreprise. La compliance fait partie de l’ADN de Roche et je me dois de poursuivre l’énorme travail d’appropriation au quotidien de la compliance que nous avons engagé.

Mon rôle, en tant que Directeur juridique et compliance, avec cette double casquette du droit et de la compliance, est d’être un apporteur de solutions performantes et compliantes. Il s’agit d’accompagner l’innovation pour qu’elle arrive sur le marché français le plus tôt possible dans les meilleures conditions pour l’intérêt du patient, que l’information que l’on donne soit la plus transparente, la meilleure possible pour les professionnels de santé et le patient. Les opérationnels chez Roche ont bien intégré le volet juridique et compliance dans leurs projets et leurs lancements. Le juridique et compliance chez Roche est un véritable business partners des opérations.

Comment se décompose votre activité ?

Mon équipe de 38 personnes est répartie dans 4 départements différents : un département juridique une direction Risk, Audit et compliance office, un CIL une direction dédiée à la « healthcare compliance » qui couvre notamment la compliance des activités de promotion, la transparence et DMOS (régulation des interactions avec les professionnels de santé), et une direction Facility management/environnement de travail.

Une importante partie de notre activité est dédiée à la négociation et la rédaction de contrats, avec une part conséquente pour la recherche en France. Les membres de mon équipe sont des « business partners » qui accompagnent toutes les opérations très en amont, conseillent, recommandent la meilleure façon de les réaliser. En matière de compliance, nous avons également une activité déterminante de formation qui vise à ce tous les opérationnels s’approprient la règle juridique et la compliance au quotidien.

Pour apporter des solutions en matière juridique et dans le domaine de la compliance, c’est comme les mathématiques, je promeus la méthode de résolution de problème. Il faut savoir écouter son interlocuteur, le faire reformuler, investiguer les différentes voies possibles pour trouver la meilleure solution. Et surtout avoir plaisir à le faire !

Quelles sont les spécificités propres à une entreprise comme Roche ?

Le médicament n’est pas un produit comme un autre. Son autorisation, c’est le résultat d’un bénéfices-risques positif établi et qui met à notre charge de nombreuses obligations: notamment une information de qualité auprès des personnes habilitées, transparence sur les effets secondaires, une publicité avec un visa au préalable, des règles de compliance renforcées Et cela est une responsabilité que nous assumons pleinement.

Roche est le premier investisseur en recherche parmi les laboratoires pharmaceutiques, cela implique tous les jours d’imaginer comment accompagner les innovations issues de cette recherche, des partenariats scientifiques à mettre en place dans des domaines variés et qui vont désormais au-delà du médicament.

Aujourd’hui les nouvelles technologies dans le domaine de la santé la protection des données sensibles, le big data, le séquençage du génome, le « profiling » nous occupent également avec de nouvelles questions d’éthique et des nouvelles voies à explorer d’un point de vue juridique; nous sommes souvent les premiers dans ces domaines et il faut faire preuve de prudence et d’imagination pour recommander la meilleure façon d’opérer.

En matière de traitement et de protection des data, la mise en place de notre correspondant informatique et libertés (CIL) a été une très belle avancée pour nous.

Toutes les interactions avec les professionnels de santé sont dans notre domaine extrêmement réglementées. Nous sommes obligés de déclarer tout ce que l’on fait en amont, d’obtenir un avis et ensuite de publier en aval des opérations au titre des règles de transparence..
Avec l’affaire Mediator, les laboratoires pharmaceutiques ont en effet dû faire face à une pluie de règles en matière de prévention des conflits d’intérêts sans s’exonérer des textes qui s’appliquent à toutes les entreprises, telle la loi Sapin 2 pour prévenir la corruption.

Bientôt, nous allons être obligés de nous faire autoriser –et non plus obtenir un avis- avant toute interaction avec les professionnels de santé notamment en matière contractuelle. Si l’on comprend l’objectif louable de prévention des conflits d’intérêts, cela pose des questions sur la liberté d’entreprendre et notre responsabilité propre à mettre en place des opérations éthiques. La compliance et la healthcare compliance ont pris un poids administratif démesuré et perd à mon sens un peu de son objectif de prévention des conflits d’intérêts.

Je souhaite que l’on passe le cap d’une présomption de culpabilité qui n’est pas bonne pour notre secteur. Le domaine de la santé doit être nécessairement régulé pour la sécurité des patients mais l’on devrait vraiment se poser la question de son efficience. On attend toujours un choc de simplification pour que la France reste attractive pour la recherche et l’innovation en matière de santé. Rappelons qu’il n’y aurait pas de médicaments aujourd’hui sans les investissements en recherche d’entreprises privées comme la nôtre.
Cette année, en prenant la Vice-Présidence de la commission juridique et fiscale du LEEM, syndicat du médicament j’ai ressenti une responsabilité d’aller challenger les textes, d’essayer de faire avancer le droit dans le domaine de la santé. C’est important de prendre la parole en tant que juriste et compliance officer car les laboratoires agissent trop souvent en réaction. Nous avons une responsabilité d’être un peu plus proactifs, de proposer des alternatives avec un souci d’efficience plutôt que de subir les textes.

Que pensez-vous des class actions ?

Outre les tribunaux compétents aujourd’hui en matière de responsabilité, dans le domaine du médicament les patients peuvent s’adresser aux CRCI (commissions régionales de conciliation et d’indemnisation et à l’ONIAM (Office National d’indemnisation des accidents médicaux) dont la mission première est d’offrir, au titre de la Solidarité nationale, une procédure d’indemnisation amiable, rapide et gratuite, aux victimes d’accidents médicaux.

Chaque patient est un cas particulier, avec un contexte particulier, une histoire de la maladie particulière, un traitement particulier, un métabolisme particulier, des circonstances particulières et surtout des informations sur les effets secondaires au moment de la prise de médicament. J’ai un peu de mal à imaginer comment des patients présenteraient exactement le même dommage dans des circonstances exactement identiques. Je crains que cette class action dans le domaine du médicament ne fasse beaucoup de bruit, crée beaucoup de faux espoirs en apportant très peu aux patients par rapport aux voies dont ils disposent aujourd’hui pour faire reconnaitre leurs droits.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)


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