Benoît Hamon : "La question de la justice est trop souvent réduite à des enjeux sécuritaires"

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Benoit HamonBenoît Hamon, candidat socialiste à l'élection présidentielle, dévoile sa vision de la justice au Monde du Droit. Il considère que la question de la justice est trop souvent réduite à des enjeux sécuritaires. Il estime également que l'’institution judiciaire n’a pas besoin d’une révolution mais d’être renforcée et soutenue. En ce qui concerne le marché du droit, le candidat socialiste affirme que l'on ne peut pas ouvrir un grand marché du droit au sein duquel n’importe qui pourrait vendre de la prestation juridique sans scrupule et sans garantie pour le citoyen.

La justice en France est à "bout de souffle" selon les termes du garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas. Proposez-vous de donner davantage de moyens à la justice ?

Le service public de la justice est sinistré. Les multiples et nécessaires réformes engagées ces dernières années buttent sur une même problématique : le budget de la justice en France est non seulement insuffisant mais indigne d’un pays développé.

Cette sous-dotation a des conséquences directes sur les conditions de travail et la souffrance des professionnels de la justice, agents, magistrats et auxiliaires de justice.

Mais ce sont aussi les justiciables qui aujourd’hui perdent confiance dans une institution qui est un des socles de l’Etat de droit, garant de la place et des droits de chacun dans une société apaisée. Des délais trop longs aux coûts des procédures, ce sont souvent les justiciables issus de milieux populaires qui perdent espoir dans une justice qui ne leur garantirait plus leurs droits.

Il faudra donc poursuivre l’effort engagé sur la dernière législature pour rattraper le niveau budgétaire consacré à la justice par les autres grands pays européens.

Que pensez-vous de votre caricature d'homme préhistorique réalisée dans la cadre de la campagne du barreau de Paris qui dénonce votre vision préhistorique de la justice ?

Le barreau de Paris pointe ce que nous avons tendance à oublier : la question de la justice est trop souvent réduite à des enjeux sécuritaires. Cela masque les vrais enjeux de la justice du quotidien : faire bénéficier de plus de droits au plus grand nombre ne suffit pas si la défense de ces droits reste inaccessible car trop complexe ou trop coûteuse. C’est notamment le cas pour les droits du quotidien, en consommation, en matière sociale, familiale ou de logement : le sentiment que la justice ne protège que les puissants et assomme les faibles, participe du phénomène de relégation vécu par de nombreux citoyens.

En matière d’accès aux droits, le renvoi aux modes alternatifs est bénéfique s’il est choisi, assumé et possible. Mais la déjudiciarisation des conflits ne doit pas être pensée comme un contournement de la difficulté budgétaire, ni vécue comme une privation de l’accès à une autorité judiciaire, qui reste nécessaire au règlement de certains conflits.

Pour sortir de cette situation, il est important de renforcer et diversifier les modalités d’accès au droit, en soutenant fortement par exemple la mise en place et l’organisation de permanences associatives, syndicales et bien entendu des avocats sans lesquels il n’existe pas d’accès au droit. Cette aide à l’accès au droit ne doit pas se limiter à la saisine des tribunaux ou la défense mais aussi à la médiation. Ce renforcement doit également porter sur les conditions d’accès à l’aide juridique qui ne peuvent se limiter aux franges les plus pauvres de la population ni au seul contentieux judiciaire.

Faut-il réformer l'institution judiciaire dans son ensemble ? Faut-il davantage de magistrats ?

L’institution judiciaire n’a pas besoin d’une révolution mais d’être renforcée et soutenue. La réforme justice du 21ème siècle devrait permettre un meilleur accès du justiciable à la Justice. Mais pour qu’elle réussisse, il faudra combler les carences en nombre de magistrats, mais aussi de greffiers ainsi que permettre aux services d’insertion et de probation d’avoir les moyens de fonctionner.

Certains des candidats à l'élection présidentielle proposent de créer plus de places de prison, qu'en dites-vous ?

Notre modèle du tout carcéral est aujourd’hui à bout de souffle : nos prisons sont pleines et ne remplissent pas l’objectif de la prévention de la récidive, bien au contraire, elles créent de la délinquance. Elles sont coûteuses et absorbent le budget de la justice. L’alternative à la détention est, parfois, la meilleure manière pour que quelqu’un comprenne le sens de sa faute et de sa punition. Elle permet la réinsertion et réduit les risques de récidive. Il faut donc sortir de notre modèle du tout carcéral et renforcer les alternatives à la peine, c’est-à-dire donner les moyens à l’application effective de la réforme mise en place par Christiane Taubira. Plutôt que de créer des nouvelles places, le budget pénitentiaire doit ainsi principalement être orienté vers les peines alternatives et l’amélioration des conditions actuelles d’emprisonnement, criminogènes : il faudra pour cela initier un programme immobilier pénitentiaire innovant dans ses formes pour favoriser la réinsertion et tendre vers l’encellulement individuel.

Enfin, quelles sont vos propositions pour les professionnels du droit ? Faut-il revoir la loi dite "Macron" dont l'application, en ce qui concerne les notaires, a tourné au fiasco ?

Entre la libre concurrence sans limite et le corporatisme, il existe un juste milieu dont le cadre est celui de l’intérêt du justiciable. On ne peut pas ouvrir un grand marché du droit au sein duquel n’importe qui pourrait vendre de la prestation juridique sans scrupule et sans garantie pour le citoyen. Le droit est une matière qui touche à la vie des femmes et des hommes. La protection du justiciable est garantie par les règles qui encadrent l’exercice du droit : responsabilité professionnelle, lutte contre les conflits d’intérêts, secret professionnel et confidentialité par exemple. Mais ces règles professionnelles ne doivent servir que l’intérêt des citoyens et non à limiter l’accès au droit en empêchant ceux qui ont les capacités, les diplômes et les garanties professionnelles de s’installer. La loi dite "Macron" a manqué cet objectif et n’a pas mis fin aux obstacles financiers qui empêchent les jeunes professionnels du droit de s’installer et d’innover.

Enfin, cette même philosophie a vocation à s’appliquer au développement du droit sur internet : ce développement permet un meilleur accès au droit du plus grand nombre. Mais il ne doit pas être un droit au rabais, dangereux pour le justiciable sauf à se transformer en une arnaque de plus. Pour cela les règles de protection du justiciable doivent s’appliquer sur internet.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)


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