« L’obligation de port du masque en entreprise est une mesure qui tend à la protection de la santé des salariés »

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Depuis le 1er septembre, les salariés, sauf rares exceptions, vont devoir s'habituer à porter systématiquement un masque au travail. Si, dans les faits, cette pratique était déjà effective dans beaucoup de structures, elle est aujourd'hui encadrée par le gouvernement à travers un nouveau protocole sanitaire post-confinement en entreprise, plus strict que le précédent. Déborah Attali, avocate associée, et Vincent Roulet, avocat counsel, du cabinet Eversheds Sutherland ont répondu à quelques questions afin de vous aider à mieux comprendre ce nouveau protocole sanitaire.

Le port du masque en entreprise, comment vont s’organiser les contrôles ?

L’obligation de port du masque en entreprise est une mesure qui tend à la protection de la santé des salariés. Dès lors, toute autorité en charge de la protection de la santé des salariés est fondée à contrôler le port effectif du masque par les salariés. Il s’agit naturellement de l’État, par l’action des inspecteurs du travail mais, avant l’État, c’est à l’employeur lui-même qu’il incombe de vérifier que les salariés se plient à cette mesure certes contraignante mais indispensable. Le cas échéant, il devra prononcer des sanctions disciplinaires. Quant au comité sociale et économique, il ne dispose pas de pouvoir de sanction : il entre toutefois dans ses missions de veiller à l’application effective de cette consigne et, le cas échéant, d’attirer spécialement l’attention de l’employeur à ce propos. Enfin, chaque salarié peut, également, reporter les cas de violation de la règle qu’il constate à son supérieur.

Un employeur peut-il refuser le télétravail à un employé ?

Il convient de distinguer deux situations de télétravail différentes. Il y a d’abord le télétravail mis en place dans des conditions normales : à ce propos, la loi ne crée pas de « droit » au télétravail et l’employeur n’est jamais tenu d’acquiescer à la demande du salarié. Même lorsqu’un accord collectif ou une charte est mise en place dans l’entreprise, la loi prévoit que l’employeur peut refuser le télétravail à un salarié qui, a priori, pourrait en bénéficier. L’employeur est alors seulement tenu de motiver sa décision par des éléments objectifs afférents aux besoins de l’entreprise ou à la situation du salarié.

Lorsque le télétravail est mis en place dans des circonstances exceptionnelles, la loi n’est pas claire. Il n’en demeure pas moins que, d’un côté, l’employeur est seul à décider de l’organisation du travail et, en ce sens, on ne voit pas comment il pourrait être obligé d’accepter. De l’autre côté, l’employeur est responsable de la santé des salariés : on peut donc penser qu’il engagerait sa responsabilité si, en refusant le télétravail, il exposait le salarié à un risque évident.

En pratique on retiendra donc qu’il n’y a pas d’obligation mais que l’employeur prend un risque en forçant à venir travailler une personne particulièrement exposée alors que le télétravail est possible pour cette personne.

En cas de non-respect du protocole par l'entreprise, le salarié peut-il exercer son droit de retrait ?

Contrairement à une idée reçue, le droit de retrait n’est pas si largement ouvert aux salariés. Ceux-ci ne peuvent s’en prévaloir que face à un danger (ou ce qu’ils pensent légitimement être un danger) « grave et imminent ». Il en résulte que le seul constat de violations ponctuelles du protocole (ex. un collègue n’a pas porté son masque ou ne s’est pas lavé les mains) ne permet nullement de se prévaloir du droit de retrait. En revanche, en cas d’absence de mesure ou de violations systématiques des mesures mises en place dans l’entreprise, la question peut se poser. Il conviendra alors, au cas par cas, d’estimer le danger auquel est exposé le salarié en prenant en compte sa situation personnelle ainsi que celle de l’entreprise : région de l’entreprise, taille des locaux, fréquentations de ceux-ci, etc.

Un employeur qui ne fournit ni masque ni gel peut-il exiger la présence de l'employé ?

L’employeur est tenu de fournir aux salariés les équipements de sécurité individuels, ce qui inclut les masques et le gel. En ne les fournissant pas, il expose les salariés à un risque particulier identifié. On pourrait discuter de la question de savoir si cette exposition au risque autorise le salarié à user de son droit de retrait, mais il est douteux qu’un salarié refusant de se rendre au travail commette un faute.

Quel risque pénal pour le dirigeant en cas de contamination du lieu de travail ?

La contamination du lieu de travail ou, même, la contamination d’un salarié n’emporte en elle-même aucun risque pénal pour le dirigeant de l’entreprise. En revanche, le manquement caractérisé aux obligations de sécurité – notamment, en ce moment, la mise en place d’un protocole et la fourniture de masques – est susceptible de caractériser plusieurs infractions pouvant aller jusqu’à des délits tels, par exemple, que la mise en danger de la vie d’autrui puni d’un an de prison et de 15.000 euros d’amende. Pour les cas les plus graves, l’homicide involontaire n’est pas à exclure.

Propos recueillis par Yannick Nadjingar-Ouvaev


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