Les enjeux de la visite présidentielle en Inde. Entretien avec Olivier Monange, DS Avocats

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Entretien avec Olivier Monange, en charge de l’Asie et de l’Indian Desk au sein de DS Avocats, qui sera dans la délégation d'entreprises accompagnant la visite officielle du Président de la République en Inde le 4 décembre 2010. Après avoir passé 8 ans en Chine pour DS Avocats, Olivier Monange a rejoint le bureau parisien d’où il assure la coordination de l’ensemble des activités asiatiques de DS.

1-      Vous êtes dans la délégation officielle aux côtés du Président de la République, quel est, pour vous, l’objectif de cette visite ?

L’Inde, malgré l’ouverture de son économie, reste un pays fermé aux avocats étrangers qui n’ont pas le droit de s’y implanter et d’y exercer. Il s’agit en conséquence de marquer l’intérêt des avocats français pour ce pays et notre voeu de pouvoir y travailler.

Par ailleurs, l’Inde est un pays de tradition juridique de « common law » où la jurisprudence (le « precedent ») joue un rôle essentiel comme source du droit, par opposition à notre système de droit continental dont le premier fondement reste la loi. Il est donc important que nous puissions confronter nos visions et, à travers cet échange, s’efforcer de promouvoir le droit français. Paradoxalement, notre système juridique peut en effet trouver matière à s’exporter en Inde: je pense notamment au sujet des partenariats public-privé. Ce sujet s’avère essentiel dans un pays dont les besoins en infrastructures sont énormes. L’Etat indien ne peut subvenir seul à ces besoins et est conduit à solliciter le secteur privé. Toutefois, comme en France, les pouvoirs publics sont réticents à laisser libre cours à l’initiative privée et souhaitent rester maîtres du jeu au travers de partenariats sous contrôle. Le système français d’économie mixte offre des solutions et des outils qu’il nous faut, nous praticiens du droit, exporter. Ainsi, au-delà de leurs différences, les systèmes juridiques français et indiens peuvent aussi trouver des points de convergence et offrir aux avocats français un terrain d’expression en Inde. Ce sujet est loin d’être neutre pour nos entreprises pour lesquelles il sera plus facile de s’imposer sur le marché indien si la règle du jeu locale s’inspire d’un cadre qui leur est familier.

2-      Quels sont les enjeux et risques des investissements français en Inde ?

L’enjeu pour les entreprises françaises consiste à réussir à s’ancrer durablement dans un pays appelé à devenir dans la décennie 2040-2050 le pays plus peuplé au monde et la troisième puissance économique mondiale (derrière la Chine et les Etats-Unis). La croissance indienne s’affiche depuis 2005 comme l’une des plus fortes au monde avec des taux annuels oscillant entre 7 et 9%, et ce en dépit de la crise financière. Avec l’une des populations les plus jeunes au monde, et un pouvoir d’achat croissant, le marché indien devient incontournable. La présence des plus grands groupes internationaux est révélatrice à cet égard. Aussi, les entreprises françaises se retrouvent confrontées au même pari qu’avec la Chine il y a 10-15 ans: s’implanter aujourd’hui pour exister demain dans un marché qui, dans un certain nombre de secteurs, représente encore plus un potentiel qu’une réalité.

Comme en Chine, les difficultés sont importantes et les risques réels, bien que de nature différente. Le pays est immense et multiforme: il s’agit d’un véritable continent où coexistent des états (l’Inde est une fédération), des ethnies, des langues et des religions différentes. A cette diversité s’ajoute la persistance des castes qui compliquent un peu plus encore la compréhension de la société indienne. Sans oublier les très fortes disparités sociales. Cette complexité ne permet pas d’appréhender facilement le marché indien. Par ailleurs, tout projet d’implantation se heurte aux insuffisances des infrastructures indiennes: les coupures d’électricité sont quotidiennes, la logistique s’avère un véritable casse-tête. Enfin, l’entrepreneur étranger doit affronter au quotidien la pesanteur de l’administration indienne et de sa bureaucratie. Dans son rapport annuel « ease of doing business », la Banque Mondiale classe l’Inde parmi les pays où il est le plus compliqué de créer une société, avec plus d’une quarantaine de formalités à accomplir.

S’implanter en Inde constitue par conséquent un véritable challenge où il est facile d’échouer. Certaines sociétés françaises ont connu des revers retentissants. Ceux-ci peuvent s’expliquer par la méconnaissance du marché et de l’environnement, un mauvais choix de partenaire ou, tout simplement, l’insuffisance de moyens, notamment humains, consacrés au projet. Il est parfaitement illusoire de penser qu’il suffit de se doter d’un partenaire pour réussir sur le marché indien: ceux qui se sont contentés de remettre toutes les clés à leur partenaire en attendant que celui-ci leur apporte le succès ont, au mieux, fait du surplace, au pire, perdu leur mise et créé un concurrent local.

3-    Enfin, comment se structure l’activité de DS avocats en Inde ?

En raison de l’interdiction qui nous est faite de nous implanter et d’exercer en Inde, nous n’avons pu ouvrir de bureau comme nous l’avons fait en Chine et en Asie du Sud Est. Notre organisation s’articule sur deux piliers. D’une part, nous avons créé à Paris un « Indian Desk » composé d’avocats français et indiens ayant vocation à voyager en Inde pour y accompagner nos clients. D’autre part, pour pouvoir traiter les dossiers, nous avons passé un accord avec un cabinet local, le cabinet RDA Legal, présent dans plusieurs villes comme New Delhi, Bengalore, Calcutta et très prochainement Mumbai.


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