Conférence des Nations Unies sur le climat à Cancun. Entretien avec Tim Baines, Norton Rose

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Tim Baines, Norton Rose, revient sur le sommet relatif au climat qui se déroule à Cancun du 29 novembre au 10 décembre 2010.

1- Pouvez-vous nous parler de vous ?


Tim Baines, avocat associé du cabinet d'avocat d'affaires international Norton Rose LLP à Londres, spécialiste du changement climatique et des énergies propres basé.

J’interviens en tant que conseil sur un large éventail de questions relatives aux lois en vigueur et aux propositions de lois au Royaume-Uni, dans l’Union Européenne et à l’international.

Ma pratique comprend entre autre le suivi de l’évolution des questions telles que les négociations internationales sur le changement climatique post-2012, la mise en œuvre de la Phase III du Système Communautaire d’Échange de Quotas d’Émissions (SCEQE), l’intégration du secteur de l’aviation au SCEQE, la capture et le stockage du carbone. Je m’attache aussi à l’évolution de la législation et des politiques portant sur les énergies renouvelables, plus particulièrement en relation avec la production d’électricité et carburants.

Je suis présent à Cancun pendant deux semaines pour couvrir les négociations actuelles sur le changement climatique pour le compte de différents clients.

2- Quels sont les enjeux de cette conférence ?


Les négociations traitent de notre mode de vie. Elles affectent directement tout l’écosystème, le réchauffement climatique menaçant d’entrainer des changements que la nature seule ne pourra pas supporter. Pratiquement tous domaines d’activité sont concernés d’une façon ou d’une autre par les négociations actuelles, particulièrement dans les petits États insulaires et les pays en développement. Elles abordent cependant des questions spécifiques.

Objectifs – Les objectifs de réduction d’émission sont souvent les aspects les plus médiatisés des négociations sur le changement climatique. La conférence de Copenhague en 2009 a permis de parvenir pour la première fois à un accord politique (sans contrainte juridique) des parties visant une limitation de l’augmentation des températures mondiales à 2°C au-dessus des niveaux préindustriels (bien que certaines parties aient soutenu une limitation à 1,5°C).

Cet accord novateur à cette époque a été suivi par différents objectifs individuels soutenus à la fois par des pays industrialisés et en développement. Il reste que ces objectifs, s’ils étaient atteints, ne suffiraient pas à garantir la limitation de la hausse des températures à 2°C. Qui plus est, ils n’ont aucun caractère contraignant.

La recherche de moyens permettant de relever les objectifs est un élément constant des négociations internationales, malgré le différend entre les parties qui veulent convenir des objectifs avant de fixer leurs règles d’évaluation et celles qui veulent en premier lieu convenir des règles.

Survie du Protocole de Kyoto – Bien que le Protocole de Kyoto n’expire pas en 2012, la période d’engagement actuelle qui limite les émissions de pays industrialisés ne couvre que 2008 à 2012. Le fait qu'elle ne couvre que les émissions des pays développés signifie qu'environ 75 % des émissions mondiales futures ne seraient pas contrôlées si les parties passaient seulement à une deuxième période d'engagement aux termes du Protocole de Kyoto. Cette option n’est donc pas politiquement acceptable et il est impératif de trouver un moyen de limiter les émissions des pays en développement.

Mécanismes de marché – La conférence de Cancun devrait également permettre des discussions fructueuses autour des « mécanismes de marché ». Ces mécanismes possèdent différentes fonctions : ils permettent aux pays qui ont des excédents d’émissions « d’acheter » le droit d’émettre auprès d’autres pays ainsi que la mise en œuvre de projets générant des crédits de réduction d’émissions, souvent appelés « compensations », qui peuvent être achetés et vendus par les États dans le but d’atteindre leurs objectifs. Ces crédits permettent des réductions d’émissions dans les pays où elles sont plus faciles à réaliser, en particulier dans les secteurs où les technologies sont obsolètes ou lorsque les meilleures technologies disponibles ne sont pas utilisées. Il est important de trouver un moyen de garantir que ces mécanismes perdurent, mais il faut également qu’ils soient réformés et étendus pour que les pays puissent assumer des objectifs de réduction d'émissions plus ambitieux et pour attirer l’investissement privé vers des projets sobres en carbone dans les pays en développement.
L’Accord de Copenhague n’a pas été suffisamment clair sur le rôle futur des mécanismes de marché.

Technologie - Le transfert et le déploiement de technologies sont au cœur du débat sur le changement climatique. Pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions, les nouvelles technologies doivent être plus facilement disponibles et plus abordables qu’aujourd'hui, en particulier pour les pays en développement. L’Accord de Copenhague a abordé cette question. La création du Comité Exécutif de Technologies et du Centre et Réseau des Technologies climatiques a en effet été convenue. Cependant, au-delà de leur appellation, leur forme et leur fonction restent à définir.

Les négociations de Cancun devront traiter en détail les solutions possibles pour concrétiser le mécanisme de transfert de technologie. Il faudra pour cela se pencher sur la nature de ces organismes, de leurs membres, de leur mandat, etc.

Financement – Des financements gigantesques seront nécessaires pour élaborer un cadre mondial de limitation des émissions de carbone. Il est essentiel que les différents pays impliqués dégagent un financement suffisant pour prouver leur engagement politique réel, particulièrement pour combler l’écart de crédibilité entre les marchés développés et les pays en développement.

Copenhague a permis de réunir environ 30 milliards de dollars pour le financement du « fast start » de 2010 à 2012 et d’obtenir un engagement à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, ce qui reste inférieur aux besoins.

La clarification de la mobilisation des investissements privés fait toujours débat et sera un élément important des discussions de Cancun.

Réduction des émissions dues à la déforestation et la dégradation forestière (REDD+) – La diminution des surfaces forestières représente environ 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce qui place la sylviculture en haut de l'ordre du jour des négociations de la COP16 à Cancun. Elle faisait déjà partie des points clés de Copenhague et est largement considérée comme l’une des (rares) réussites des négociations de 2009. Un texte relativement abouti a été convenu pour le processus REDD+. De nombreux points tels que la portée, la détermination des phases, les protections, etc. ont été clarifiés. Le processus a suscité un enthousiasme bilatéral et multilatéral tout au long de l’année passée. Il possède donc un fort potentiel de progression à Cancun.

Toutefois, il reste encore de nombreux points critiques à traiter concernant REDD+. Des décisions importantes devront être prises lors de la conférence. Il faudra notamment déterminer si les pays en développement sont capables de mettre en œuvre le processus localement ou s’il faudra attendre qu’ils puissent adopter une approche nationale. La question du financement de REDD+ représente également un enjeu majeur, de même que le bien-fondé d’assurer ce financement en associant les activités du processus aux marchés carbone.

3- Quel est le rôle de Norton Rose à la conférence ?


Les négociations de Cancun peuvent avoir un impact significatif pour nombre de nos clients dans différents secteurs. Les organisations directement impliquées dans les marchés carbone et les technologies propres sont concernées, mais aussi des acteurs des secteurs tels que le transport et les infrastructures.

A ce titre, nous dépêchons nos experts aux négociations des Nations-Unies sur le changement climatique, nous en facilitons l’interprétation pour nos clients, nous analysons les principaux impacts des décisions prises et, parfois, nous jouons un rôle actif dans différentes parties des négociations avec les délégations individuelles.

4- Qu’attendez-vous de la conférence ?


Il ne faut pas considérer les résultats de Cancun isolément, mais comme une nouvelle étape de l’Accord de Copenhague. S’il est vrai que Copenhague a largement déçu, Cancun peut reprendre certains points exposés lors de cette conférence et les faire avancer, de façon sensible pour certains secteurs.

De plus, les attentes sont beaucoup moins fortes que lors de la conférence de Copenhague. Elles sont globalement plus réalistes quant aux résultats qui peuvent être obtenus, de sorte que toute avancée réelle devrait être bien accueillie. Au mieux, beaucoup espèrent ce que l’on appelle un « ensemble équilibré » de décisions dans des domaines tels que le transfert de technologies, le processus REDD et le financement, ainsi qu’une certaine clarification sur les « voies à suivre ».

L'absence d'un cadre international contraignant juridiquement est l'un des principaux reproches faits à la conférence de Copenhague. On a parlé de deux à trois ans de délai avant qu’un tel cadre puisse se concrétiser, ce qui peut sembler un peu inquiétant, mais il ne faut pas oublier qu’il a fallu plusieurs années pour finaliser les détails du Protocole de Kyoto.

Ceci étant dit, nous espérons que Cancun apportera une évolution, si minime soit-elle, peut-être même l'amorce d'un accord plus effectif lors de la conférence du Cap de décembre 2011. Ceci permettrait au moins de jeter des passerelles vers le grand public et de restaurer (partiellement) la crédibilité du processus de négociations internationales.

En ce qui concerne le Protocole de Kyoto, il est fort possible que la question de la Deuxième période d'engagement ne soit pas résolue à Cancun.
Du point de vue financier, la création d'un Fonds climatique pourrait connaître une certaine évolution. Le processus REDD+ est sans doute le domaine le plus prometteur pour lequel on peut espérer que Cancun apportera une décision réellement positive et indépendante.
Il est également important de reconnaître les importantes réalisations en dehors des négociations des Nations-Unies.
S’il est peu probable que Cancun apporte la solution miracle pour résoudre les problèmes du changement climatique, sa valeur potentielle ne doit pas être sous-estimée. L’évolution observée en dehors de ces négociations mondiales dans des domaines tels que le REDD et les investissements chinois dans les énergies renouvelables peut perdre de la vitesse faute d’évolution internationale, ce qui confère aux résultats de Cancun une importance cruciale.



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