L’avocat du 21ème siècle face à quatre défis majeurs

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Les avocats doivent affronter quatre grands défis selon un rapport de l’Institut des Hautes Etudes pour la Justice (IHEJ) pour s’adapter aux enjeux du 21ème siècle. Ils doivent notamment repenser leur modèle économique et créer une « communauté de juristes » pour relever ces défis.

Rédigé par Antoine Garapon et Sarah Albertin en coordination avec le CREA, le rapport de l’Institut des Hautes Etudes pour la Justice (IHEJ) identifie quatre défis majeurs pour la profession d’avocat dans ce début du 21ème siècle : gagner en crédibilité, réussir la transformation numérique, transformer son modèle économique et construire la communauté des juristes.

Retrouver de la crédibilité

Les avocats doivent gagner en crédibilité. « Menacé par de nouvelles professions émergentes, l’avocat se réfugie derrière son statut sans toujours comprendre que ce dernier tient autant à des barrières légales qu’à une reconnaissance plus générale », écrivent les auteurs du rapport.

En France, « les avocats français tendent à jouer avec les limites de la vérité et entretiennent avec elle un rapport malicieux. Cela ne pousse pas les magistrats à prêter une grande attention à leurs affirmations, elles-mêmes perçues comme ne prêtant pas une assez grande attention à la vérité. »

Aux Etats-Unis, l’avocat a un rapport à la vérité très différent. « Non qu’il ne mente jamais mais parce qu’il sait les risques considérables qu’il prend en le faisant. Il est extrêmement périlleux pour un avocat et pour une partie au litige de cacher des éléments au juge et à la partie adverse. Le rapport à la vérité est ainsi sécurisé dans le procès américain par deux inconnues immaîtrisables, indisponibles à une quelconque influence : ce que vont révéler les faits, ce que va décider le jury. »

Pour remédier à cela, le rapport propose notamment de réhabiliter l’audience et d’encadrer le procès dans des délais stricts.

L’avocat doit aussi s’ouvrir. « D’une manière générale l’avocat s’est trop préoccupé de protéger ses prérogatives au détriment de l’ouverture de sa profession. Il s’est méfié du travail social et de la médiation, il a tardé à investir la matière constitutionnelle, pénitentiaire, etc. ». C’est à cette condition qu’il « pourra acquérir les compétences qui lui permettront de jouer pleinement le rôle de facilitateur social auquel il est appelé. »

S’approprier la révolution numérique

Si l’impact du numérique sur les professions du droit dont celle d’avocat soulève de nombreuses questions, tout le monde s’accorde sur le « fait que nous assistons à un mouvement profond et durable ». « Plateformes et legaltech ont fait leur entrée sur le marché du droit bouleversant ainsi le quasi-monopole de la profession d’avocat sur l’application du droit, le conseil et de la défense. L’arrivée de ces nouveaux concurrents, efficaces, agiles et innovants, qui prétendent s’emparer d’un marché sans être véritablement juristes, bouscule une vielle profession jalouse de ses prérogatives. »

Les avocats se retrouvent « ringardisés » par ces nouveaux venus qui ont « la capacité de toucher un immense public à un moindre coût », alors que ces derniers comme d’autres professions semblent restés à un « stade artisanal, aristocratique et ancien (les professions « 3A » pourrait-on dire dans la novlangue numérique). »

Pour réussir le défi du numérique, « les avocats doivent donc se l’approprier pour construire une nouvelle offre, plus diversifiée et plus professionnelle. Il leur faut donc revoir de fond en comble leur stratégie de développement, la relation avec le client, leur organisation interne et leur modèle économique ».

Adapter le modèle économique

Les transformations actuelles sur le marché du droit vont nécessairement avoir un impact sur le modèle d’affaires des cabinets d’avocats.

En ce qui concerne les cabinets d’avocats d’affaires, les auteurs du rapport rappellent que le « modèle le plus répandu aujourd’hui est représenté par une pyramide au sommet de laquelle l’avocat associé doit produire moins d’heures facturables que le collaborateur senior placé en dessous de lui, lequel doit lui-même produire moins d’heures que celui qui est en dessous, et ainsi de suite. Le tout est conçu pour produire un effet de levier. ».

Mais ce modèle a vécu. « Jusque récemment, l’effet de levier de ce modèle était très élevé et certains cabinets pouvaient arriver jusqu’à 1 associé pour 17 collaborateurs, ce qui était donc très rentable. Mais cet âge d’or est passé et aujourd’hui, en 2017, les ratios globaux sont en moyenne de 3. Seuls les « Big » (PwC, EY, Deloitte ou KPMG) arrivent à des effets de levier entre 6 et 9. Les raisons de cette chute sont multiples mais le résultat est là, implacable : l’avocat doit revoir son modèle et donc repositionner ses activités. »

Avec la révolution numérique, « les clients sont devenus beaucoup plus sophistiqués et exigeants et, à part dans certains domaines particuliers, il n’est plus possible de facturer aveuglément au client l’intégralité des activités du cabinet Notamment, le client refuse désormais que lui soit facturées les prestations qui sont déléguées à des collaborateurs juniors ou des stagiaires. Il refuse en quelque sorte de financer la formation des plus jeunes avocats. En bref, c’est toute la logique d’ensemble du marché du droit qu’il faut reconsidérer. »

Selon le rapport, il faut renouveler les stratégies tarifaires. De toute manière, les legaltech imposent cette refondation en remettant en cause « les stratégies tarifaires des cabinets et le sacrosaint taux horaire qui était à la base de la réussite du système. »

Parmi les solutions proposées figure le regroupement avec la possibilité de créer des firmes européennes. Une autre voie est celle de l’ouverture du capital des sociétés d’avocats. D’autres possibilités comme la levée de l’interdiction de l’apport d’affaires et du partage d’honoraires méritent également d’être étudées. Le financement du contentieux par des tiers peut également être une source de financement.

Construire la communauté des juristes

Le dernier défi consiste à créer une communauté des juristes. Le rapport fait le constat qu’« en France, le cloisonnement des professions juridiques est source de faiblesse sur la scène internationale comme en interne » et propose d’unifier les professions juridiques. « Créer une grande profession du droit, en réunissant les professions de juriste d’entreprise et d’avocat semble de plus en plus évident. »

Les auteurs du rapport envisagent trois conditions pour que les avocats puissent relever ces défis. D’abord, il faut que les avocats s’ouvrent. Ensuite, ils doivent « sortir du confort du statut ». Enfin, « plus on s’ouvre et que l’on se confronte aux autres, plus l’on sort des sentiers battus, plus la déontologie notamment en ce qui concerne la vérité vis-à-vis des juges, doit être un guide sévère ».

Arnaud Dumourier (@adumourier)


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