Covid-19 : les directions juridiques renforcent leur rôle au sein de l'entreprise

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Selon une *étude de Day One « Covid-19 & Directions juridiques : Retour d'expérience pour le futur - Bilans et perspectives pour les directions juridiques » réalisée auprès de 50 directrices/directeurs juridiques et secrétaires généraux de grandes entreprises et ETI, les directions juridiques ont pu tirer trois enseignements principaux de la crise du covid-19 : repositionnement du juridique dans l’entreprise, qualité de la production en télétravail, et prise de conscience sur le digital.

La crise du Covid-19 par son caractère soudain, universel et inédit a bouleversé les activités des entreprises et leur mode de fonctionnement. Et en ces temps de fortes tempêtes, elles se sont tournées vers les directions juridiques pour les guider et les rassurer.

Une Direction juridique sollicitée sur de nombreux domaines juridiques

day one covid19 sujetsL'étude de Day One révèle notamment que la crise a replacé le juridique au cœur de l’entreprise. Les juristes ont été réactifs, se sont adaptés à des nouvelles conditions de travail et ont fait preuve de résilience. Si bien que 89% des directions juridiques ont perçu leur rôle comme renforcé ou légitimé à l’issue de la période de confinement (17 mars 2020 – 11 mai 2020). « En fait, cette crise a donné à la direction juridique un rôle qu’elle devrait avoir en permanence, c’est-à-dire un partenaire privilégié du business, saisi très en amont, partie prenante de la prise de décision. » souligne Jérôme Rusak, associé de Day One. 77% des DJ ont communiqué et interagi de manière beaucoup plus fréquente avec la direction générale.

La crise du Covid-19 a imposé de revoir les engagements contractuels des entreprises avec leurs clients et leurs fournisseurs. Les directions juridiques ont donc procédé à des audits des contrats, souvent « à la mano » puisqu’elles étaient très peu équipées en outils de revue contractuelle automatisée voire ne disposaient pas d’outil de recherche dans les contrats. L’analyse des clauses de force majeure a été un volet important de l’activité : « C'est la première fois qu'on a parlé de la force majeure en conseil d’administration ! On a un peu replongé dans nos cours de fac pour la théorie de la force majeure et pour l’imprévision ! ». Plus largement, il s’est agi de donner des éléments juridiques au business pour renégocier avec des clients ou des fournisseurs, voire de participer aux renégociations. Il a fallu aussi revoir les échéanciers ou mettre en place de nouveaux contrats plus adaptés, plus sécurisés susceptibles de répondre à la fois aux besoins de l’activité traditionnelle de l’entreprise, mais aussi aux éventuelles nouvelles activités.

En matière de droit des sociétés, le travail des juristes a été beaucoup plus intense puisqu’il a fallu maintenir l’organisation des organes sociaux de l’entreprise à distance, générant de nouvelles contraintes et nouvelles pratiques à expliquer ; il a fallu également absorber les nombreuses réunions exceptionnelles de ces organes, le nombre de décisions à prendre durant la crise étant considérable. La direction juridique a pu par ailleurs pendant cette période être amenée à rappeler quelques grands principes de fonctionnement de la fonction juridique.

La période a été marquée par une explosion des besoins de l’entreprise en conseil en droit social : l’impact a été fort non seulement pour les directions juridiques
qui avaient le social dans leur périmètre, mais plus intéressant les directions juridiques qui n’avaient pas le droit social dans leur giron ont souvent été amenées à analyser les textes. Il a fallu ainsi gérer la mise en chômage partiel des équipes de l’entreprise, gérer l'arrêt puis la reprise de l’activité, des projets, des chantiers en
mode dégradé.

En outre, pendant le confinement, de nombreux textes juridiques liés à la pandémie ont été publiés. Les directions juridiques ont donc eu une activité de veille, voire de lobbying, particulièrement intense pour, d’une part, suivre ce « nouveau droit », s’appuyant parfois sur les veilles des cabinets d’avocats d’affaires, d’autre part, analyser, communiquer et expliquer cette réglementation et ses impacts pour l’entreprise, les dirigeants, les opérationnels.

A noter que globalement les directions juridiques ont moins sollicité les cabinets d’avocats pendant la période de confinement : 44% des DJ ont diminué leurs dépenses d’avocats pendant la crise. Elles ont plutôt géré en interne, en étant autonomes. Les cabinets d’avocats d’affaires ont continué d’être sollicités sur des projets clefs et sur le droit social ; leur sollicitation s’est accrue sur l'analyse des nouveaux textes et sur l’analyse des contrats, notamment par rapport à la force majeure. Enfin, les contraintes liées à la préparation et à l’organisation des AG dans un contexte de confinement ont généré de nombreuses questions en droit des sociétés

Développement du télétravail

En outre, cette période a permis de mesurer la qualité de la production des équipes en télétravail. L’engagement des équipes pendant cette période a démontré la capacité des directions juridiques à fonctionner en télétravail avec un haut niveau de productivité. « La période de confinement liée au Covid-19 constituera un marqueur historique quant à la perception des nouvelles modalités de travail, à commencer par le télétravail. Les directeurs juridiques anticipent une généralisation du télétravail à 2,2 jours par semaine pour leurs équipes dans le futur. » anticipe Olivier Chaduteau, associé-gérant de Day One. Les blocages psychologiques et culturels ont sauté par la mise en place d’un télétravail généralisé, contraint et forcé.  Malgré la distance, malgré les contraintes humaines, les directions juridiques ont répondu présentes grâce, d’une part, à l’implication et à la responsabilisation des équipes, et d’autre part, grâce au numérique.

La mise en place du télétravail a engendré de nouvelles modalités de communication au sein de l’équipe mais surtout une hausse de la fréquence des échanges. Les directrices et directeurs juridiques ont mis en place des points quotidiens formels ou informels en équipe, en one-to-one, avec une fréquence qui a pu évoluer au fil du temps. Les « virtual coffee breaks », les « COJUR élargis », les « Zoom 3 fois par semaine » ont renforcé le partage. « C’était beaucoup plus bilatéral qu’en présentiel, les informations circulaient dans les deux sens ». Ces pratiques ont pu renforcer l’image de leader des managers juridiques.
Toutefois, certains directeurs juridiques n’ont pas effectué de changements majeurs ou d’ajouts de réunions par rapport à d’habitude : « On a communiqué
différemment, c'est tout. ».

Le télétravail en période de confinement est un télétravail de crise. En conséquence, le niveau d’investissement des juristes a été naturellement très élevé puisque chacun a compris qu’il en allait de la survie de l’entreprise. La question qui se pose désormais c’est le comportement des juristes en télétravail en période « normale ». Avec le retour d’une forme de normalité, le risque de retomber dans les habitudes et le quotidien est réel. « Le télétravail en période de crise n'est pas le même qu'en période de croisière, il pourrait y avoir du relâchement » indique un directeur juridique.

La crise, révélateur de l'intérêt du numérique

Pour les directions juridiques déjà équipées ou habituées au télétravail, la bascule a été totalement indolore en dehors de quelques commandes d’imprimantes. Pour les directions juridiques moins rodées au télétravail / avec un télétravail limité ou anecdotique, il a fallu en premier lieu équiper les collaborateurs en portables
lorsqu’ils n’en avaient pas.

La crise a permis une prise de conscience décisive de l’importance du digital pour la direction juridique. 88% des directeurs juridiques pensent que la crise va avoir un impact fort sur la conduite du changement vers davantage de digitalisation. La période de crise a abouti au constat que le numérique est nécessaire pour la nouvelle organisation du travail (le télétravail notamment) et que « ça marche ! ». Les juristes qui se sont heurtés à des difficultés pour accéder aux serveurs, retrouver des documents produits par une autre équipe ou qui ont appelé leurs collègues pour trouver un document ont clairement réalisé l'intérêt des outils partagés, des bases accessibles via le cloud. « Ceux qui y étaient hostiles se sont rendu compte qu'ils pouvaient toujours aller chercher sur Internet ». Les juristes ont également intégré « la modification des façons de travailler avec moins de déplacement » et « la remise en question du modèle d'organisation de travail : on peut travailler de la campagne ».

Beaucoup de directions juridiques avaient initié des projets de réorganisation et de transformation digitale. La Covid-19 est venue en quelque sorte valider l’état
d’avancement de ces projets et leur pertinence. On peut anticiper un changement d'état d'esprit des équipes juridiques notamment parce qu’une bonne partie va vouloir continuer à travailler à distance. Cette période « va faciliter le cadencement du projet digital de la direction juridique, ça va être plus facile à accepter pour les collaborateurs ». Toutefois, la période récente n’a fait qu’accentuer un changement d’état d’esprit déjà en marche, « c'était déjà en train d'infuser, le changement n'est pas uniquement lié à la crise ». « On va continuer ce qu'on a déjà lancé ».

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La Covid-19 a généré une importante activité de revue contractuelle pour les directions juridiques. Fréquemment les audits ont été faits « à la mano » et
beaucoup se sont rendus compte de la difficulté de collecter l’intégralité des contrats et effectuer des recherches intelligentes sur ces contrats. En conséquence,des projets de mise en place d’outils autour du contract management vont voir le jour ou accélérer pour accompagner l’ensemble du process contractuel : des projets avec les outils métiers des forces de vente (Salesforce.com, MS Dynamics…) pour lier les contrats dès la phase d’initiation de l’opportunité d’un projet ou avec la finance avec SAP ou la RH avec Workday… des outils de génération automatique de contrats ; des workflows dynamiques et des outils de signature électronique ; des outils d’archivage, de GED spécifique, des SharePoint, des bases de données juridiques homogénéisées…
Enfin, la signature électronique, arlésienne dans un certain nombre de directions juridiques depuis quelques années, est apparue comme une évidence et une nécessité au cours de cette crise.

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En définitive, la crise a eu un impact très positif sur la perception du rôle stratégique et très opérationnel du Juridique. Ainsi, 89% % des directions juridiques ont perçu leur rôle comme renforcé ou légitimé à l’issue de la période de Covid. Cette période a révélé que le Juridique a une contribution au business, en temps de crise. « Ça a remis les pendules des opérationnels à l'heure », témoigne un directeur juridique.

Arnaud Dumourier (@adumourier)

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*Cette étude a été réalisée sur la base d’entretiens individuels confidentiels menés par Day One en face-à-face ou par téléphone avec 50 directrices et directeurs juridiques ou secrétaires généraux de grandes entreprises et ETI sur la période du 22 mai au 20 juillet 2020.