Grenelle du Droit 3 : vers un changement de paradigme juridique ?

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Le droit suit les évolutions de la société, sur le fond mais aussi quant à la manière même dont les normes sont produites. Tel est l’un des constats dressés lors de la plénière du Grenelle du Droit 3 vendredi 15 novembre 2019. S’oriente-t-on actuellement vers un changement de paradigme ?

Le Palais Brongniart de Paris a accueilli le 15 novembre 2019 la troisième édition du Grenelle du Droit. Les débats, lors de la séance plénière, ont soulevé la question de l’évolution du droit au gré des changements sociaux, particulièrement intenses aujourd’hui à l’ère du numérique et de l’économie mondialisée.

Le monde économique bouillonne, le droit lutte pour imposer des cadres

« Nos sociétés sont de plus en plus en demande de droit » constate le Président de l’AFJE Marc Mossé. Une révolution industrielle est à l’œuvre à travers le digital et le droit fonctionne comme un « outil d’harmonisation » selon lui.

Mais là où le bât blesse, c’est que le droit peut apparaître à la fois comme une solution et un élément même du problème, selon la manière dont il est envisagé. « Le droit est le prolongement d’une guerre commerciale » souligne alors le député Raphaël Gauvain. Par où l’on retrouve le sujet polémique de l’extraterritorialité. Les normes harmonisent, mais pas nécessairement dans l’intérêt général, ou alors parfois dans celui d’un pays en particulier… « L’utilisation des lois extraterritoriales est le bras armé des États-Unis pour défendre leur économie » estime ainsi Raphaël Gauvain. Un outil d’autant plus pernicieux que le droit, en tant que tel, porte en lui-même la source d’une forte légitimité. « Dans ce contexte, la France et surtout l’Europe doivent s’organiser pour mieux défendre leurs entreprises » conclut le parlementaire.

Et le Président de la Commission Europe du Medef Bernard Spitz d’abonder en ce sens : « Les entreprises sont engagées dans la mondialisation. Elles acceptent la compétition à condition qu’il y ait des règles du jeu et que ces règles soit équitables. (…) La question de l’extraterritorialité est un sujet non seulement économique, mais stratégique, une question de souveraineté. »

Quand le droit s’aligne sur la société de l’immédiateté…

Si la loi s’efforce ainsi de proposer un cadre à l’effervescence du monde contemporain, l’ironie vient du fait que peut-être est-elle travaillée elle-même de l’intérieur par ce bouillonnement. Pourquoi d’ailleurs le législateur échapperait aux caractéristiques de la société qu’il s’efforce d’organiser ?

L’un des traits majeurs de l’époque est sans doute le besoin d’instantanéité, porté notamment par la montée en puissance du numérique et autres applications smartphone. Or selon Pierre Berlioz, Professeur de droit et Directeur de l’EFB, également présent lors du Grenelle, la production des règles aujourd’hui semble traversée, dans une certaine mesure, par cette même logique d’immédiateté, un aspect qui pourrait constituer d’après lui un changement de paradigme juridique !

Alors que le modèle classique est celui de principes généraux posés par le législateur puis complétés progressivement, au fil de l’eau, par la jurisprudence, actuellement des normes sont produites à foison, dans un luxe de détails, par des autorités administratives, via des guidelines ou autres codes de conformité, en amont même de la pratique, pour fournir instantanément et clé en main une sorte de « kit juridique » aux entreprises. Comment dès lors ne pas voir effectivement que le droit lui-même répond à l’esprit de l’époque ?

Avec ce paradoxe, souligné par Pierre Berlioz, que si l’objectif est de garantir une certaine sécurité juridique, le serpent se mord la queue en quelque sorte, car les acteurs économiques sont bien souvent très embarrassés par cet embrasement réglementaire, éventuellement contradictoire… d’autant plus inquiétant que l’autorité qui produit alors la norme – censée certes rester purement indicative – est également celle qui en contrôle la bonne application.

« Cette production de guides, de codes de bonne conduite, personnellement, je trouve cela extraordinairement angoissant » conclut le Président du tribunal de commerce de Paris Paul-Louis Netter sur le ton de la plaisanterie. Il semble ainsi que droit et société bouillonnent au diapason, sans parfois qu’il soit aisé de déterminer, comme l’œuf et la poule, qui l’emporte davantage sur l’autre.

Hugues Robert (@HuguesRob)


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