L’emprunt obligataire : Nouveau moyen de financement d’une officine de pharmacie

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Vanessa Levy, avocate au sein du cabinet Jurispharma, revient sur la possibilité de financer les offices de pharmacie via l'emprunt obligatoire.

L’emprunt obligataire, notion exotique pour un non-initié, correspond pourtant à un outil de financement très ancien, longtemps oublié, puis repris et modernisé par la loi de 1966 sur les sociétés, codifié aux articles L228–38 et suivants du code de commerce puis enfin en 2004.

Du premier emprunt obligataire lancé par François Ier en 1522, sous forme de rente perpétuelle pour financer la guerre d’Italie, repris au début du XIXe siècle, d’abord par le Crédit Foncier pour porter d’importants projets industriels, le début des années 2000 a connu un véritable essor de l’emprunt obligatoire après mise en place d’un régime général des valeurs mobilières.

Au-delà du financement classique, sous forme de prêt bancaire, l’acquisition d’un fonds de commerce ou de titres d’une officine de pharmacie peut se faire sous forme d’un emprunt obligataire se traduisant par l’émission d’obligations.

Ainsi le candidat acquéreur pourra compléter son apport personnel et un prêt bancaire par un financement consenti par un investisseur extérieur, y compris non-pharmacien.

Pour ce qui concerne l’activité réglementée d’exploitation d’officine, le recours à l’emprunt obligataire permet de contourner les dispositions du code de la santé publique (L5125-11 du Code de la Santé Publique). Ainsi le recours à l’emprunt obligataire permet in fine à un non-pharmacien d’entrer dans le capital d’une officine de pharmacie par le biais d’émission d’obligations.

Mécanisme de l’emprunt obligataire

Appréhender l’intérêt et les risques du recours à un emprunt obligataire pour financer son projet d’acquisition d’une officine de pharmacie suppose de connaître et comprendre le mécanisme d’un tel financement matérialisé sous forme d’obligations acheté par un investisseur.

Définition 

Qu’est-ce qu’une obligation ?  Une obligation est un titre de créance émis par une société à la recherche d’un financement. Le souscripteur d’une obligation paye le titre et en contrepartie bénéficie du paiement d’un intérêt annuel appelé coupon. Au terme du contrat établi la société débitrice de l’obligation devra comme tout emprunt, rembourser le titre de créance aux souscripteurs. Seule une personne morale peut recourir un emprunt obligataire 

Différents types d’obligations

Obligation simple (OS) :

L’obligation simple ne donne pas accès au capital. Elle permet à l’investisseur de contracter une dette envers la société émettrice soit en l’espèce la société exploitant la pharmacie.  Cette dette sera remboursable uniquement en numéraire selon les modalités prévues dans le contrat d’émission d’obligations régularisé entre la société et l’investisseur (taux d’intérêt, durée...)

Obligations Convertible en actions (OCA) :

L’obligation convertible en actions donne à l’investisseur un droit d’accès au capital de la société émettrice.

En effet l’OCA permet la conversion de l’obligation en action de la Société émettrice, toujours selon modalités fixées dans le contrat d’émission d’obligation, lequel prévoit notamment le ratio de conversion, qui définit le nombre d’actions auquel donne droit l’obligation.

Ce mécanisme présente l’avantage indéniable d’obtenir des fonds selon des modalités beaucoup moins contraignantes que les prêts bancaires, néanmoins ce mécanisme n’est pas sans risque dans la mesure où à la date de conversion la société émettrice risque de perdre le contrôle en se retrouvant diluée dans le capital. 

Le véritable enjeu actuel en matière d’emprunt obligataire dans le secteur de la pharmacie d’officine porte sur le financement par l’émission d’obligations convertibles.

Les contrat d’obligation simple (OS) et contrat d’obligation convertible en action (OCA)

Les contrats d’OS et d’OCA font l’objet d’une grande liberté contractuelle, les parties définissant librement les clauses contenues dans les contrats d’obligation.

En matière de financement d’officine de pharmacie, l’emprunt obligataire est dans la très grande majorité consenti par un fonds d’investissement.

La liberté contractuelle attachée au contrat obligation convertible doit conduire à un examen rigoureux des contrats, tout particulièrement sur trois points : le taux d’intérêt, la durée et les modalités de conversion.

Cet examen s’impose d’autant plus que les contrats d’émission d’obligation prérédigés par les fonds d’investissement s’analysent plus en des contrats d’adhésion, les contrats proposés s’inscrivent en effet dans une opération globale qui s’impose dans sa globalité à la société de pharmacie émettrice.

Le taux d’intérêt :

L’examen des contrats et d’émission d’action convertible établis par le fonds d’investissement lui-même a permis de constater que les taux d’intérêt pratiqués par les investisseurs détenteurs des obligations prévoient des taux d’intérêts prohibitifs, souvent de 8 % pouvant aller jusqu'à 17 %.

Il est important de souligner que le contrat d’émission d’actions convertible n’entre pas dans le champ du monopole bancaire.

De ce fait, le taux d’intérêts pratiqué est totalement libre, 

La durée :

Tous les contrats d’obligations convertibles doivent être limités dans le temps.

La durée est un élément non négligeable en ce qu’il a un impact certain sur l’exploitation de la pharmacie.

En effet, tout remboursement anticipé engendrera non seulement le remboursement de l’emprunt mais également le remboursement des intérêts pendant toute la durée du contrat et ce jusqu'au terme prévu dans le contrat.

Ainsi et à titre d’exemple, un contrat d’obligation convertible au taux d’intérêt de 8 % sur une durée de 12 ans, entraînera en cas de remboursement anticipé à l’issue des cinq premières années le remboursement d’intérêts calculés sur les sept années restant à courir pour arriver au terme du contrat.

A l’évidence cet élément doit être pris en compte dans le choix du recours à un financement par l’émission d’obligations convertibles.

Modalités de sortie

L’examen des contrats d’obligation convertible a permis de constater que les modalités de sortie du contrat se révélaient souvent très contraignantes,

Le prix de cession des obligations convertibles est très souvent subordonné à la réalisation de résultats, quelques fois irréalisables, outre une clause de non-concurrence et des préavis de sortie particulièrement longs

Avantages et risques de l’emprunt obligataire

L’avantage de recourir un tel emprunt est indéniablement de disposer rapidement et facilement de fonds complémentaires permettant d’augmenter de façon sensible notamment l’apport personnel.

Néanmoins le recours à un emprunt obligataire ne doit pas être appréhendé comme une solution de facilité, permettant simplement de compléter aisément un apport personnel, ni constituer une décision anodine au regard des conséquences de ses choix sur l’exploitation.

L’intervention d’un fonds d’investissement a en effet exclusivement pour but un retour sur investissement rapide.

Il s’agit d’une opération à caractère strictement spéculatif, ce qui explique l’application d’un taux d’intérêts très élevé, en déconnexion totale avec les taux d’intérêts bancaires et l’encadrement drastique des modalités de rachat des titres par la société émettrice.

Le caractère strictement spéculatif de l’intervention d’un fonds d’investissement dans le financement d’une officine de pharmacie est encore plus vrai.

En effet dans la réalité l’obligation convertible ne pourra jamais être convertie, à défaut pour le fonds d’investissement d’être pharmacien qui ne peut en l’état de la législation entrer directement dans le capital de la pharmacie.

Cette situation oblige les associés de la société émettrice à procéder au rachat des actions de la société ce qui explique également la nécessité de s’assurer des modalités de sortie du contrat d’émission.

Le Financement sous forme d’obligation convertible constitue en l’état pour le fond d’investissement une situation provisoire, dans l’attente d’une éventuelle modification de la législation concernant l’ouverture du capital des pharmacies à des non-pharmaciens.

Le recours à l’émission d’obligation convertible pour financer l’acquisition d’une officine de pharmacie nécessite donc réflexion et prudence dans le cadre d’une étude comptable rigoureuse.

Compte tenu de la spécificité de l’activité de pharmacie d’officine, des taux d’intérêts bancaires très bas et de l’existence d’autres offres alternatives, il est permis de s’interroger sur le caractère judicieux du choix de l’emprunt obligataire

Le fond d’investissement et le pharmacien ne partagent pas d’intérêt commun, la recherche du fond d’investissement est et restera celui d’un retour rapide sur investissement.

D'autres offres existent pour compléter le financement d’un fonds de commerce ou de titres d’une officine de pharmacie, tel par exemple que les prêts CAVP.

Les prêts CAVP sont également consentis sous forme d’emprunt obligataire, seule façon actuelle de contourner les dispositions du code de la santé publique, mais au taux fixe de 2 %.

Enfin, le Code de la Santé Publique n’autorisant pas encore l’ouverture du capital aux non-pharmaciens, les prêts obligataires proposés pour faciliter le financement de l’acquisition d’officine de pharmacie doivent être appréhender avec prudence et circonspection dans la mesure où en l’état de la législation, les obligations ne peuvent pas être converties (sauf si le préteur est un pharmacien).

En conséquence, il s’agit dans ce domaine plus que pour d’autres, d’une opération à caractère strictement spéculatif pour le préteur, ce-ci d’autant plus que les contrats d’obligations proposés sont drastiquement encadrés et viennent limiter les prérogatives du pharmacien titulaire, outre l’incidence du taux d’intérêt pratiqué très élevé et sans pouvoir invoquer le bénéfice des dispositions attachées au taux d’usure.

Les primo accédants pourront s’orienter sur le choix d’un prêt CAVP, malheureusement limité à ces seuls bénéficiaires et au montant maximum de 500.000 euros.

Ainsi la spécificité de l’activité de pharmacien d’officine, profession règlementée par le Code de la Santé Publique ne permet pas de bénéficier pleinement des moyens de financements externes et de l’ensemble des dispositions prévues par le Code de Commerce en matière de prêt obligataire.

Vanessa Levy, avocate au sein du cabinet Jurispharma


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