COVID et télétravail : le cheval de Troie de la transformation digitale ?

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Martin Bussy, consultant, CEO de Legal Innovation, livre son analyse sur les conséquences du recours généralisé au télétravail pendant la crise sanitaire, notamment vis-à-vis de la transformation digitale.

Le confinement, les restrictions de déplacement, la nécessaire distanciation physique ont imposé une réflexion nouvelle et pérenne sur nos modes de communication, de travail, de relations professionnelles. A travers la crise actuelle, de nouvelles façons de travailler et d’interagir apparaissent parfois efficaces, parfois utiles, parfois excessives. Le sujet est sur toutes les lèvres, la problématique dans toutes les têtes. Quelle place donner au télétravail au sein du cabinet, de la direction juridique ?

Cette question éclipse pour le moment toutes les autres interrogations liées au digital.  C’est par le prisme de la mobilité, du travail collaboratif, de la connexion à distance que l’innovation technologique va progresser à court terme dans les cabinets. Les questions immobilières et de l’organisation du travail en équipe, directement liées au télétravail, en seront une conséquence directe. Ensuite, de notre point de vue, viendront les questions de sécurité, confidentialité et conformité RGPD. Puis, à plus long terme, les questions de la relation client et de la digitalisation de l’offre pourront émerger.

La mise en place du télétravail nécessite les bons outils

Toute la profession s’est trouvée confrontée, de manière brutale, à travailler à distance, depuis son domicile. L’organisation informatique s’est retrouvée, en fonction des cas de figure, être le talon d’Achille du cabinet, ou au contraire sa force.

Sur ce point, il faut distinguer grossièrement trois cas de figures. D’abord, les systèmes informatiques (SI) principalement locaux, avec peu d’accès à distance aux fichiers et encore moins à la facturation ou à la comptabilité. Ensuite, les SI locaux disposant d’accès VPN ou TSE et offrant, au prix d’une certaine complexité, un accès satisfaisant aux ressources du cabinet. Enfin, ceux qui disposent de solutions hébergées (cloud), travaillant quasiment sans différence à distance.

S’agissant des outils de communication, les solutions de tchat (type Slack) et de visio-conférence (Zoom, Meet, Team) étaient rarement déployées au sein des cabinets. Mais leur relative facilité d’utilisation a permis un usage important et rapide parmi les équipes et avec les clients, eux-mêmes confinés.

Ainsi, un SI hébergé, couplé à des solutions de communication à distance permet finalement un accès aux outils de travail (fichiers, dossiers, échanges) aussi performant qu’au bureau.

Trop de télétravail nuit au travail

Il nous semble très pertinent de développer l’usage du télétravail dans la profession juridique, mais sans tomber néanmoins dans l’excès inverse.

L’équilibre travail à distance / travail au bureau doit être pensé sous des angles multiples et pas exclusivement sous l’angle informatique. L’esprit d’équipe, le partage d’expérience et de savoir-faire, le gain de temps permis par les échanges physiques, l’efficacité commerciale de la rencontre, la créativité permise par le travail en équipe, tous ces éléments ne pourront en aucun cas se passer du présentiel. En fonction des organisations, 30 à 50% du temps de travail pourrait être envisagé à distance, avec des jours de présence obligatoires, des réunions d’équipe fixes, etc.

Par ailleurs, le télétravail n’est pas nécessairement le travail à la maison. Pour élargir sa base de recrutement, permettre des conditions de travail optimales loin du cabinet principal, le travail à distance dans des lieux de coworking est une solution à envisager sérieusement. Pourquoi ne pas s’attacher les services d’un collaborateur basé à Fontainebleau ou Amiens, qui travaille 3 jours par semaine dans un espace partagé de sa ville, et 2 jours par semaine à Paris, au siège ? Ainsi il bénéficie de salles de réunion, d’une adresse officielle, d’un bureau bien équipé, mais s’évite un trajet éreintant et accepte peut-être une rémunération inférieure. De la sorte, chacun gagne en qualité de vie et en efficacité, temporelle et financière.

Comme on le voit, le télétravail doit être envisagé comme une évolution positive, permettant d’envisager des conditions de travail plus favorables pour les associés, collaborateurs ou employés. Un télétravail devenant la norme néanmoins implique un certain nombre de conséquences importantes.

Sécurité informatique et management, leviers de croissance

D’abord, la sécurité informatique doit devenir une priorité pour garantir la robustesse du fonctionnement du SI, la confidentialité parfaite des échanges, la conformité rigoureuse au RGPD comme aux droits des salariés. Ces sujets sont complexes mais sont surtout onéreux. Le besoin d’investissement est réel et son absence créera des risques énormes (pertes de données, manque de confidentialité…). C’est donc un coût qu’il faut intégrer.

Ensuite, mettre en place le télétravail de manière pérenne implique un changement d’organisation d’ampleur. Il est illusoire de penser que des équipes éclatées en différents points travaille de manière identique qu’une équipe réunie en un même lieu. Le suivi et le contrôle doivent évoluer. Les interactions et la communication interne se font de manière différente. Fondamentalement, le management joue un rôle encore plus fort qu’avant : l’investissement dans les formations des associés est également une nécessité absolue, les travers de l’ancien monde étant encore répandus (verticalité du pouvoir, absence d’anticipation des échéances, horaires à rallonge, pas de vision projet, manque de collaboration…)

Ces nouvelles dépenses (IT et formation au management) sont plus que compensées par les baisses de coût de l’immobilier. Les budgets parfois très conséquents mobilisés sur les bureaux peuvent et doivent être réduits tant la création de valeur associée est faible. Au contraire, le digital et le management apportent de la valeur au client, au cabinet, aux associés.

Les étapes d’après : digitalisation de l’offre de service, de la relation client

Le télétravail et la nouvelle organisation des équipes n’est qu’une première étape dans la transformation digitale du cabinet ou de la direction juridique. Mais c’est une étape indispensable pour permettre d’embrayer sur d’autres sujets à valeur ajoutée.

On peut citer par exemple le travail en réseau, c’est-à-dire intégrer à sa production juridique des avocats ou juristes indépendants, délocalisés dans des zones économiques moins onéreuses (en France ou à l’étranger). Cette relocalisation (nearshoring ou offshoring) permet de recomposer la chaîne de valeur au profit de tous les acteurs, y compris le client. C’est un processus à l’œuvre depuis de nombreuses années dans la communication ou le conseil par exemple.

Ce travail en réseau peut permettre d’intégrer le client de manière beaucoup plus poussée. Travailler en mode projet avec le donneur d’ordre offre de nombreux avantages :

  • Meilleure circulation d’information entre le cabinet / la direction juridique et le client externe / interne
  • Réduction des mails et appels du client et donc gain de temps pour les équipes
  • Implication du client plus fréquente dans les décisions et donc réduction des frottements de compréhension

Plus en amont, ces outils IT, une fois intégrés et maîtrisés en interne, permettent de réfléchir à digitaliser son offre de service. Cet aspect de la transformation digitale est l’un des plus important sur le long terme. En effet, les services juridiques peuvent être organisés, proposés et vendus comme des services numériques et pas seulement comme des services physiques. Cette évolution, loin d’entraîner une baisse de la qualité ou du prix des prestations, permet au contraire d’identifier des besoins plus nombreux, auprès de clients plus lointains, en dissociant la valeur ajoutée correspondant aux différents services.

Par exemple, proposer l’édition de contrats types à ses clients via son interface web peut être efficace, apprécié et plus rémunérateur pour l’avocat, car automatisé sur la partie administrative.

Il se pourrait donc que le COVID ait servi de déclencheur à une prise de conscience digitale des professionnels du droit. Le télétravail en est l’élément majeur mais constitue en lui-même un défi organisationnel, technique et budgétaire. Bien peu de professionnels pourront mettre en place une telle organisation sans investissement interne ni accompagnement externe, tant la gestion du changement est importante.

Nous pensons que cette évolution représente une étape vers une mutation plus profonde de la profession, une fois maîtrisés les outils et organisation digitaux. La valeur ajoutée d’un avocat digitalisé, offrant le meilleur de l’expérience d’accompagnement actuelle et le meilleur du digital sera incomparable.

Martin Bussy, consultant, CEO de Legal Innovation


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