Droit de l’Union européenne et réglementation française du changement d’usage : entre validation et réserves sur le mécanisme de compensation

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Nelson Correia et Elsa Sacksick, avocats chez Adden Avocats, décryptent une décision de la CJUE portant sur le régime du changement d'usage.

La législation française prévoit que l’activité de location meublée de courte durée, au profit d’une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, ne peut être exercée dans un local à usage d’habitation qu’après l’obtention d’une autorisation de changement d’usage (article L. 631-7 du CCH). Par ailleurs, le régime français permet aux municipalités de soumettre la délivrance de l’autorisation à l’obligation de réaliser une compensation des mètres carrés d’habitation supprimés, en mettant en œuvre une transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.

C’est sous l’enjeu de cette règlementation que se sont développés les contentieux, initiés par la Ville de Paris, portant sur les locations touristiques via les plateformes de type Airbnb.

Saisie d’un pourvoi à l’encontre de deux condamnations prononcées par la Cour d’appel de Paris (contre deux loueurs ayant donné à bail des logements sans autorisation), la Cour de cassation a formulé une question préjudicielle à la CJUE (pourvoi n° 17-26.156 et n° 17-26.158 du 15 novembre 2018) sur la question de la conformité de l’article L. 631-7 du CCH au principe de libre prestation de services posé par la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Si la CJUE a, par son arrêt du 22 septembre 2020 (aff. n° C-724/18 et n° C-727/18), validé le principe de l’autorisation préalable, elle a, en revanche, renvoyé au juge national le soin d’apprécier in concreto la conformité du mécanisme de compensation. C’est ce dernier point qui mérite, à la lecture des conclusions de l’avocat général, d’être approfondi au vu des réserves mises en exergue.

Sans grande surprise, la CJUE considère que la réglementation d’un État relative à des activités de location de locaux meublés d’habitation à une clientèle de passage constitue une activité de service, bénéficiant, en principe, du droit à la libre prestation.

Pour autant, une telle réglementation est, selon la Cour, justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général visant à lutter contre la pénurie de logements locatifs de longue durée, avec pour objectifs de répondre à la dégradation des conditions d’accès et à l’exacerbation des tensions sur le marché locatif. Aussi, la Cour estime que le dispositif est proportionné aux objectifs poursuivis dès lors que la réglementation est, d’une part, matériellement circonscrite à l’activité spécifique de location de biens destinés à l’habitation, et d’autre part, bénéficie d’un champ géographique restreint portant sur un nombre limité de communes connaissant des tensions sur le marché immobilier. Au surplus, la Cour relève que les objectifs poursuivis ne seraient pas aussi efficacement atteints par une mesure moins contraignante puisqu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une réelle efficacité.

C’est sur le mécanisme de compensation que la CJUE est plus nuancée. Tout en reconnaissant qu’un tel mécanisme constitue un instrument adéquat, la Cour estime que la faculté de recourir, en sus du régime d’autorisation, à une telle obligation ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs.

A cet égard, l'avocat général, dans ses conclusions (qui ne lient pas la Cour), émit un avis très réservé sur le mécanisme de compensation imposée par la Ville de Paris, en mettant en exergue le caractère disproportionné voire discriminatoire de cette obligation, notamment pour les propriétaires non-professionnels.

En effet, il considéra, eu égard au marché actuel des cessions de commercialités, que la mise en œuvre de l’obligation de compensation pouvait être si dissuasive que son existence serait de nature à anéantir l’objectif même de la règlementation (en raison du caractère coûteux et restrictif du mécanisme de compensation mis en place par le règlement municipal de la Ville de Paris qui impose, dans de nombreux cas, de doubler les surfaces à usage d’habitation à reconstituer). L’avocat général releva le caractère quasi-discriminatoire de ce mécanisme dès lors qu’il favoriserait, en réalité, les multipropriétaires et promoteurs immobiliers les « plus fortunés », seuls aptes à disposer des ressources financières nécessaires à la compensation.

Sans faire siennes les critiques de l’avocat général, la CJUE impose à la Cour de cassation de s’assurer que le mécanisme de compensation (et le quantum imposé) s’avère proportionné à la situation du marché locatif concerné (en tenant compte des différences objectives de situation entre chaque quartier/arrondissement), et que sa mise en œuvre s’effectue dans des conditions de marchés raisonnables, transparentes et accessibles.

La saga Airbnb n’est donc pas terminée. La Ville de Paris sera contrainte de justifier devant la Cour de cassation, statuant suite au renvoi préjudiciel, du respect des principes de proportionnalité et de transparence du mécanisme de compensation imposé aux propriétaires parisiens. Prochaine décision à venir...

Nelson Correia et Elsa Sacksick, avocats chez Adden Avocats