COVID-19 & Hôtels & Stations de ski : comment gérer les importantes révisions de loyer à venir

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L’exploitation des hôtels dans les stations de ski est durement impactée par la covid-19 et les mesures sanitaires. Les propriétaires bailleurs doivent s’attendre à ce que leurs locataires réclament une révision du loyer à la valeur locative, selon les dispositions du Code de Commerce. Quels sont les risques associés et comment gérer cette négociation pour éviter une révision judiciaire, qui serait préjudiciable aux propriétaires bailleurs comme aux exploitants locataires ?

L’ensemble des exploitants hôteliers, en raison de leur absence d’activité du fait de la crise sanitaire, se plaignent à raison des loyers et des taux d’effort trop élevés, qui mettent en péril l’exploitation de l’hôtel. Face à eux, le bailleur s’en tient le plus souvent à proposer un report du loyer avec un moratoire, voire une diminution mineure du loyer, parfois assortie d’une demande de nouvelles garanties par le preneur à bail.

Dans ce contexte, les propriétaires bailleurs d’hôtels dans les stations de ski doivent anticiper une vague d’actions de la part de leurs locataires visant à obtenir une révision du loyer à la valeur locative. Et ils ont, comme les locataires, tout intérêt à privilégier une négociation amiable à une révision judiciaire.

Le loyer d’un hôtel peut être ajusté à la valeur locative à l'échéance triennale dès lors que le précédent loyer est demeuré inchangé pendant plus de trois ans – à condition qu’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité[1] soit constatée et entraîne une variation de + ou – 10% de la valeur locative. Cette modification matérielle des facteurs locaux de commercialité s’apprécie établissement par établissement et site par site : les facteurs locaux de commercialité sont par exemple très différents sur l’écosystème d’un hôtel situé à Tignes ou à Saint-Malo.

Dans un premier temps, le preneur à bail va identifier et justifier les impacts matériels de la crise sanitaire sur son établissement hôtelier et son activité F&B (si elle représentative), compte tenu de son implantation géographique. Ensuite, en application de l’article L.145-38 du Code de Commerce, il va notifier au bailleur son intention d’obtenir une révision à la baisse du loyer à la valeur locative.

Le locataire d’un hôtel au sein d’une station de ski dispose de nombreux arguments pour obtenir la révision de son loyer à sa valeur locative. La saison a été stoppée net mi-mars 2020 pour des raisons sanitaires, les remontées mécaniques et le domaine skiable sont fermés depuis le début de la saison, et ce pour une durée indéterminée à la date de rédaction de notre article, entraînant de facto une modification matérielle provisoire des facteurs locaux de commercialité ayant justifié du choix de son exploitation dans cette station particulière. La désertification de l’hébergement hôtelier dans les stations de ski laisse augurer de la baisse de plus de 10% de la valeur locative de l’hôtel, cette valeur étant notamment calculée sur la base du taux d’occupation …

Si le bailleur n’a pas fait réaliser une expertise sur son loyer, il ne disposera que de peu d’informations pour contester la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité et le montant de la valeur locative et sera à la peine dans sa négociation avec son locataire, surtout si ce dernier a pour sa part eu recours préalablement à un expert amiable.

En cas d’échec des pourparlers ou au cours de ceux-ci, le locataire conserve la faculté d’engager une procédure. Il notifie alors au bailleur par voie de mémoire sa demande de révision triennale et saisit la Commission de Conciliation ou du Juge des Loyers Commerciaux. Mais même après l’engagement d’une procédure, il est possible de revenir à une négociation amiable ou de poursuivre celle qui avait déjà été engagée.

Laisser jouer la seule révision judiciaire fait courir au bailleur un risque de manque à gagner futur.

Rappelons que la détermination de la valeur locative tient compte du chiffre d’affaires et de l’activité de l’exploitation (taux d’occupation), qui aura drastiquement baissé au cours de l’année 2020, de même que celles des concurrents hôteliers locaux qui peuvent servir de comparaison. Or, la révision judiciaire sur la base de la valeur locative engagée par le locataire va fixer le nouveau loyer qui sera ensuite applicable pour toutes les années suivantes jusqu’à la fin du bail (sous réserve des indexations).

En effet, les dispositions du Code de Commerce ne permettent pas un ajustement du loyer en cours de bail, malgré la capacité de rebond du chiffre d’affaires du locataire dans les prochaines années, notamment si les conditions d’enneigement des prochaines saisons hivernales sont bonnes. En bref, la révision judicaire va pénaliser le bailleur sur toute la durée restant à courir du bail.

Le locataire, de son côté prend le risque de s’embarquer pour une longue procédure aléatoire, coûteuse, qui ne règle pas ses difficultés immédiates et qui met en danger l’exploitation à très court terme de son hôtel.

Or, la crise sanitaire ne durera pas indéfiniment et d’ici deux à trois ans, l’activité économique des stations de ski alpin aura retrouvé son cours normal. Les loyers révisés à la baisse seront alors sans doute sous-évalués, sans possibilité légale pour le bailleur de demander une augmentation.

La voie de la négociation s’impose donc aux bailleurs comme aux locataires. En effet, il vaut mieux :

  • accepter la demande de baisse de loyer présentée aujourd’hui et négocier amiablement en recherchant un point d’équilibre, et
  • proposer le cas échéant une clause de retour à meilleure fortune.

Cela permettra au propriétaire de prévoir dès la négociation, que le loyer retrouvera son niveau antérieur en même temps que le preneur à bail aura retrouvé son chiffre d’affaires passé. Le locataire de son côté, aura satisfait à l’urgence de la crise, avec ou sans le soutien d’un mandataire ad hoc au cours de la négociation qui fera homologuer les accords avec les créanciers du débiteur.

La négociation en l’espèce est bien la reine des solutions.

Anne Epinat et Christopher Boinet, Avocats associés chez In Extenso Avocats


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