Rapport Perben : les treize recommandations relatives à l’avenir de la profession d’avocat qu’Eric Dupond-Moretti ne laissera pas dormir « dans un tiroir du sommeil de l’injuste »

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Mercredi 26 août, l’ancien garde des Sceaux, Dominique Perben, a remis à Eric Dupond-Moretti, l’actuel ministre de la Justice, treize propositions relatives à l’avenir de la profession d’avocat, qui ont engendré sans tarder des réactions de la part des instances représentatives des professionnels du droit.

Le 9 mars dernier, Nicole Belloubet, alors ministre de la Justice, avait confié à Dominique Perben, avocat et ancien garde des Sceaux, le soin de faire émerger « les voies qui pourront permettre de garantir aux avocats (…) leur indépendance, leur liberté d’exercice, leur autonomie de fonctionnement, la viabilité de toutes les structures et cadres d’exercice, individuel ou en association, pour tous les types de conseil et de contentieux ».

Travail accompli pour les neufs membres de la Mission présidée par l’ancien ministre de la Justice. Ce dernier a remis, mercredi 26 août, son rapport relatif à « l’avenir de la profession d’avocat » au nouveau garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, tout en précisant que : « On appelle cela un rapport mais en vérité cela n’en n’est pas un dans la mesure où ce n’était pas notre objectif. Notre objectif était de faire les propositions les plus concrètes possibles ».

Ainsi, pour répondre à la crise profonde que traverse la profession, la Mission a dégagé trois axes de réflexions destinés à : améliorer la situation économique des avocats, leur permettre de faire évoluer leur offre mais aussi leurs relations avec les magistrats.

Au sein de ces trois thèmes s’articulent treize recommandations dont trois avaient été expressément identifiées dans la lettre de mission, à savoir : la revalorisation du barème de l’aide juridictionnelle qui pourrait être fixée à 40 € au lieu de 32, et à laquelle  pourrait s’ajouter notamment la prise en compte des frais de déplacements de l’avocat (recommandation 1) ;  le recouvrement facilité des honoraires en permettant au bâtonnier d’assortir ses décisions de l’exécution provisoire (recommandation 2) ; l’attribution de la force exécutoire à l’acte d’avocat pour favoriser l’intervention des avocats dans les MARD et éviter aux parties tout recours au juge (recommandation 8).

Cette dernière proposition n’a pas été sans réaction immédiate de la part du Conseil supérieur du notariat qui, dans un communiqué du même jour, a souligné qu’il ne fallait pas « confondre force EXECUTOIRE et force OBLIGATOIRE. (…) Le Conseil constitutionnel a maintes fois rappelé qu’attribuer à l’acte d’avocat la force exécutoire serait contraire à la Constitution. L’avocat, compte tenu de son indépendance, n’est pas et ne saura jamais être dépositaire de l’autorité de l’Etat ».

Parmi les autres propositions, Dominique Perben a souligné celle relative à la réforme de l’article 700 du code de procédure civile sur laquelle les membres de la Mission se sont penchés longuement (recommandation 3). Ces derniers préconisent d’instaurer une obligation de motivation de « l’allocation de sommes au titre des frais irrépétibles sur le fondement de pièces produites par les avocats pour justifier les demandes présentées à ce titre » afin que le juge puisse disposer d’éléments pour arbitrer le montant de l’indemnité allouée et, si besoin, moduler les sommes dues en cas de demande abusive.

La recommandation 6 s’attaque à la procédure d’appel et envisage d’allonger les délais sanctionnés à peine de caducité et d’irrecevabilité à cet échelon de la procédure. Il s’agit en réalité d’un avant-goût d’une réforme de plus grande ampleur de la procédure d’appel (et peut-être au-delà) souhaitée par la Mission. Thierry Wickers, avocat, ancien bâtonnier et ancien président du CNB, a exposé qu’il ne s’agissait pas de proposer « une réforme clé en main de la procédure d’appel » (qui n’entrait pas dans le cadre de la mission) mais « de répondre à un constat (…) qui est que des réformes récentes de la procédure d’appel, notamment en matière de délais, n’ont pas abouti au résultat recherché qui était d’accélérer l’évacuation des procédures ». Les contraintes imposées aux avocats d’accomplir leurs actes dans de courts délais n’ayant aucune contrepartie puisque la durée moyenne de cette procédure a augmenté de deux mois, la proposition vise à  « limiter les dégâts », pour reprendre les propos de l’avocat.

Dans la perspective du développement de l’intelligence artificielle qui serait de nature à priver le consommateur de la protection que lui garantit actuellement l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971, la Mission appelle à l’adoption, par voie législative, d’une définition téléologique de la consultation juridique qui pourrait s’appuyer sur la formulation suivante : « une prestation personnalisée tendant, sur une question posée, à la fourniture d’un avis ou d’un conseil sur l’application d’une règle de droit en vue, notamment, d’une éventuelle prise de décision » (recommandation 9).

La dernière proposition (recommandation 13) est relative à la protection du secret professionnel, une réponse aux affaires récentes mettant en lumière des mesures coercitives entreprises par des magistrats à l’encontre d’avocats. Si Dominique Perben a reconnu que la Mission n’avait pas été saisie du sujet, il a spécifié qu’ « il est apparu que, dans le cadre d’une restauration de la confiance entre magistrats et avocats, il était important de [le] traiter et d’améliorer la défense du secret professionnel qui est conçu pour protéger le justiciable ; (…) qu’il ne peut pas y avoir de conflits de base, de conflits structurels entre magistrats et avocats dans cette recherche de la protection du justiciable ». Le texte rappelle que le secret professionnel est attaché tant au domaine de la défense que du conseil. Il recommande un renforcement des moyens mis à la disposition du juge des libertés et de la détention (JLD) et la possibilité pour le bâtonnier de saisir ce dernier « d’une demande tendant à l’annulation d’une perquisition dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, dans un délai d'un an à compter de sa réalisation, si l’avocat ayant fait l’objet de cette mesure n'a pas été poursuivi devant une juridiction d'instruction ou de jugement au plus tôt six mois après l’accomplissement de cette mesure ».

On soulignera que la Mission qui devait travailler sur la possibilité de faire évoluer le taux de la TVA appliquée aux honoraires d’avocats n’a pu formuler de proposition. La directive  2006/112/CE relative au système commun de la TVA étant actuellement en cours de révision, les pouvoirs publics n’ont pas souhaité précéder cette action et risquer de se placer en infraction.

Si le « rapport » invite les avocats à faire évoluer leur offre, à conquérir de nouveaux champs d’intervention à l’image de la legaltech et à, selon les termes de Dominique Perben, « remettre le justiciable au centre du processus et poser la question de savoir ce qu’il attend globalement de la profession d’avocat » (selon la dernière étude du World Justice Project, seuls 10 % des personnes confrontées à un problème juridique ont eu recours au service d’un avocat), il met fin à tout espoir de voir être mise en œuvre la proposition, pourtant portée par une partie de la profession, de permettre l’exercice de la profession d’avocat en entreprise.

A la réception de ces recommandations, Eric Dupond-Moretti a avoué qu’elles suscitaient chez lui un vif intérêt, particulièrement celle relative au secret professionnel. Il a assuré que «  ce rapport ne dormirait pas dans un tiroir du sommeil de l’injuste » et que ses services allaient regarder comment le traduire « en mesures efficaces », tout en rappelant : «  Je dois recevoir les avocats, discuter avec eux. Le consensus, la discussion, la concertation c’est ma méthode, je l’ai dit, je n’entends pas y déroger. Ces mesures prendront effet le rapidement possible ».

Si les membres de la Mission avaient bien pris soin d’auditionner les institutions représentatives de la profession, Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, a fait part, sur les réseaux, de sa vive émotion en découvrant qu’une partie de la presse avait eu, en priorité, connaissance du contenu du rapport. 

Il semble qu’au cours de la journée l’incident eu été réparé. Les représentants de la profession ont communiqué, le soir même à leurs pairs, qu’ils constataient « avec intérêt que les treize pistes énoncées dans ce document renvoient, parfois mot pour mot, à des propositions votées par l’institution représentative des avocats, et transmises en leur temps à la Chancellerie. Ainsi les membres de la commission ont pu trouver dans les travaux du CNB une source d’inspiration et de propositions. Il s’agit désormais de passer des mots aux actes, et des mots aux chiffres ».

Comme l’ont énoncé les membres de la Mission : « Les préconisations de la mission reposent donc sur le postulat que l’Etat est aujourd’hui prêt à réaliser un effort budgétaire significatif, qui ne saurait être inférieur à 100 M €. La réalisation de cet effort constitue en effet un préalable nécessaire à la mise en œuvre des mesures proposées » (recommandation 1, p. 16). Le gouvernement devrait, dès la semaine prochaine, présenter son plan de relance.

Audrey Tabuteau

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LE RAPPORT PERBEN

Voir aussi ci-dessous Décideurs du Droit avec Dominique Perben :