Responsabilité de l’Etat du fait des lois anticonstitutionnelles

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Le Monde du Droit a interrogé Matthieu Ragot, associé chez De Guillenchmidt & Associés, concernant la décision rendue le 24 décembre 2019 par le Conseil d’Etat qui a ouvert une nouvelle voie permettant de mettre en jeu la responsabilité de l’Etat. Celle-ci peut désormais être recherchée pour obtenir la réparation des dommages subis du fait de l’application d’une loi déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Pouvez-vous rappeler le contexte de la décision ?

Cette décision constitue l’épisode final d’un mouvement jurisprudentiel initié en 1938 visant à permettre la réparation des préjudices causés par l’application des lois. Ce mouvement a débuté par la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat du fait des lois causant un préjudice anormal et spécial (CE, Ass., 14 janvier 1938, n°51704). Il s’est poursuivi en 2007 avec l’ouverture d’une action en réparation des préjudices causés par l’application de lois contraires aux engagements internationaux de la France (CE, Ass., 8 février 2007, n°279522).

Quelle est la solution du Conseil d'Etat ?

La responsabilité de l’Etat peut désormais être engagée « pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’application d’une loi méconnaissant la Constitution ». Cette évolution paraissait inévitable compte-tenu de l’introduction en 2008 de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Avant cela, la constitutionnalité d’une loi ne pouvait plus être contestée après sa promulgation. Dès lors que la QPC permet désormais au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution une loi qui a déjà produit des effets, il est logique de permettre la réparation des préjudices résultant de son application.

La décision précise les conditions de cette action en responsabilité. Il est d’abord évident que l’application de la loi en question doit avoir directement causé le dommage dont la réparation est recherchée. L’Etat ne peut en outre être condamné à réparer le préjudice que si la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré une loi contraire à la Constitution ne s’y oppose pas. Le Conseil constitutionnel peut ainsi aménager les effets de ses décisions dans le temps et il lui sera loisible de restreindre ou de fermer la voie à d’éventuels recours indemnitaires dirigés contre l’Etat. Enfin, la demande doit être présentée dans les quatre années suivant la date à laquelle le dommage a été subi ou connu dans toute sa portée.

Que faut-il retenir de cette décision ?

Elle confère une nouvelle dimension à la QPC. Les justiciables – et notamment les groupes d’intérêts tels que les fédérations professionnelles et les associations – devraient être incités à contester la constitutionnalité des lois qui portent atteinte à leurs intérêts et à ceux de leurs membres, afin d’obtenir la réparation des préjudices résultant de l’application de ces textes.

Les enjeux financiers pourraient, dans certaines affaires, être considérables. Il reste donc à espérer que le Conseil constitutionnel, souvent sensible aux enjeux budgétaires, ne restreigne pas systématiquement la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)


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