Catherine Nelken : « En instaurant l’état d’urgence sanitaire, les pouvoirs publics ne se sont pas prononcés sur l’exigibilité des loyers commerciaux »

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Catherine Nelken, associée au sein du cabinet BMH Avocats revient sur l’exigibilité des loyers commerciaux pendant la crise sanitaire.

Avec la crise sanitaire, comment s'effectue l'éligibilité des loyers commerciaux ?

En instaurant l’état d’urgence sanitaire, les pouvoirs publics ne se sont pas prononcés sur l’exigibilité des loyers commerciaux. Les mesures prises tendent uniquement, à l’égard des petits locataires, à interdire les mesures d’exécution (mise en œuvre d’une clause résolutoire, voies d’exécution etc.) et à suspendre les sanctions financières (intérêts de retard, pénalités etc.) pendant une période de protection. Des crédits d’impôts sont encore accordés pour inciter les bailleurs à l’abandon de loyers.

En temps de crise comme celle-ci, comment garantir aux deux parties un contrat gagnant ?

Aucune des parties au bail n’avait imaginé qu’une telle crise sanitaire, aussi longue, pourrait survenir et contraindre à la fermeture au public de commerces dits « non essentiels ». Mieux, la plupart des bailleurs institutionnels avaient fait renoncer à leurs locataires les clauses permettant la révision du contrat en cas de circonstances exceptionnelles imprévisibles (article 1195 du code civil). Or, une telle crise imposant des mesures dont aucune des parties n’est responsable nécessite que les parties maintiennent une discussion. Les clauses de médiation sont les plus appropriées car, dans un cadre confidentiel et non contentieux, elles permettent aux parties d’exposer leurs intérêts. Des parties pourraient, par exemple, avoir intérêt à prolonger le contrat en contrepartie d’une franchise de loyers. D’autres trouveraient intéressant de résilier prématurément le bail. Autant de solutions que seules les parties peuvent imaginer.

Dès lors qu'une décision est rendue par les pouvoirs publics, elle prévaut sur les parties au contrat ?

La loi en déclarant un état d’urgence sanitaire a autorisé le gouvernement à prendre des mesures afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie. De telles mesures, qualifiées de « fait du prince » s’imposent aux parties.

Avec la crise sanitaire actuelle, sous quelles conditions le locataire peut-il s’exonérer du paiement du loyer ?

La situation des commerces restés ouverts de ceux fermés au public doit être distinguée. Pour ces derniers, l’exploitation du fonds a subitement cessé, seules les activités de livraison et de retrait des commandes restant autorisées. Or, ces locataires ont pris à bail des locaux recevant du public et non de simples entrepôts.

Pour ces commerces, trois arguments principaux sont développés : La force majeure, mais il est souvent opposé que les obligations de somme d’argent ne sont pas affectées. L’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance mais, bien que débiteur d’une obligation de résultat, les juges, en l’absence de faute « objective » du bailleur, hésitent à retenir ce moyen. Enfin, la perte temporaire de la chose louée sur le fondement de l’article 1722 du Code civil. Spécifiques au contrat de louage, ces dispositions sont traditionnellement invoquées en cas de sinistre du local. Or, le retrait d’une autorisation d’ouverture au public emporte les mêmes conséquences, le local n’étant plus exploitable.

L'acte notarié est-il modifié suite aux circonstances comme la crise de la COVID-19 ?

L’acte notarié n’est pas modifié en lui-même. Les effets s’attachant à un tel acte en matière de bail, notamment son caractère exécutoire, demeurent. Mais, les juges vont apprécier si le bailleur agit de bonne foi. Ainsi, pour une saisie-conservatoire, possible en matière de loyer sans autorisation judiciaire préalable, une mainlevée a été ordonnée en raison des « circonstances exceptionnelles, indépendantes de la volonté des parties » (TJ Paris, Pôle de l’exécution, n° 20/80712, 9 juillet 2020).

Si le locataire ne peut jouir du bien, il est libéré de l'obligation de payer mais seulement sur la base de l'article 1722 du code civil ?

C’est ce qu’a retenu le Tribunal judiciaire de Paris, Pôle exécution (TJ Paris, Pôle de l’exécution, n° 20/80923, 20 janvier 2021). L’impossibilité juridique d’exploiter les lieux loués résultant d’une décision des pouvoirs publics survenue en cours de bail est assimilable à la perte de la chose louée et le locataire est libéré de l’obligation de payer le loyer pendant toute la période de fermeture sur le fondement de l’article 1722 du code civil.

Qu'apporte la décision du Tribunal judiciaire de Paris ?

Première décision statuant au fond, le Tribunal s’est prononcé pour la non-exigibilité des loyers pendant toute la période d’indisponibilité du local. Les commerces affectés pendant les deux premiers confinements qu’ils aient été fermés au public ou bien situés dans un centre commercial lui-même fermé pourront se prévaloir de cette décision. Les restaurants, théâtres, salles de sports etc. toujours impactés par des mesures de fermeture pourront également l’invoquer.

La décision, de première instance, est toutefois susceptible d’appel et le débat reste ouvert.

Propos recueillis par Emma Valet


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