Dominik Skalet, International Tax Manager chez Remote : « Le cadre juridique du travail distribué peut varier en fonction des pays »

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Le Monde du Droit a interrogé Dominik Skalet, International Tax Manager chez Remote, au sujet du travail distribué.

Quelle est la définition du travail distribué ?

Le travail distribué réfère à un modèle de travail dans lequel les équipes sont dispersées sur plusieurs sites. Ce modèle peut être basé sur le travail à distance, mais ne l’est pas forcément. Même si une équipe, qui travaille à distance, peut théoriquement travailler d’une même ville, une équipe distribuée comprend des personnes vivant dans plusieurs endroits, voire plusieurs pays.

Quelle est la différence avec le télétravail ?

Le travail distribué et le travail à distance sont deux concepts liés, qui sont malgré tout différents. La plupart des grandes entreprises ont des équipes distribuées sur plusieurs sites géographiques (soit depuis différents bureaux ou depuis leurs domiciles) qui dépendent d'outils de technologie pour coordonner leurs efforts. Le concept de travail à distance, aussi appelé télétravail ou « full remote », fait uniquement référence à une situation dans laquelle une personne travaille en dehors du bureau traditionnel, généralement depuis son domicile. Le travail à distance peut être une composante d'une équipe distribuée, mais il peut également être utilisé de manière indépendante par des employés travaillant de manière isolée.

Quel est le cadre juridique ?

Le cadre juridique du travail distribué peut varier en fonction des pays car les réglementations en matière de droit du travail, fiscalité, avantages sociaux, parmi d’autres, diffèrent grandement. Certains pays, par exemple, sont à la traîne en matière d'avantages sociaux, par rapport à d’autres. Il n'existe pas non plus de cadre juridique commun régissant le travail à distance. Il incombe aux entreprises qui font le choix d'embaucher des employés dans différents pays de s'assurer qu'elles respectent la législation de chacun d’entre eux. Pour être en règle, elles doivent choisir une procédure juridique adaptée à chacune des pays concernés. Si ce n’est pas le cas, elles s'exposent à de lourdes sanctions. Selon l’un des derniers rapports de Remote, 22 % des recruteurs en France considèrent qu'il s'agit de l'un des principaux défis à relever lors d'un recrutement dans un pays étranger. Les entreprises peuvent se tourner vers une entreprise qui fournit des services “d'Employer of Record", et qui comprend des experts juridiques aux compétences internationales, comme c’est le cas chez Remote, pour s'y retrouver.

Comment sécuriser le travail au-delà des frontières ?

Au niveau des entreprises, il est essentiel de veiller à ce que les employés concernés comprennent les règles qui s'appliquent à eux, grâce à des politiques bien définies, dès le départ. Il s'agit d'une priorité importante pour Remote, car notre plateforme permet à toute entreprise d'employer des personnes en dehors de leurs frontières. Cependant, il devient de plus en plus complexe pour les sociétés de respecter les règles telles que le droit du travail, la fiscalité, les cotisations sociales, lorsqu’elles emploient des personnes vivant dans plusieurs pays car elles diffèrent d’une juridiction à l'autre. Si une plateforme telle que Remote existe, c’est pour aider les employeurs à gérer ces situations complexes.

Au niveau des États, il est important de rédiger une législation nationale ambitieuse, qui tient compte des circonstances uniques des équipes distribuées, et d’examiner les lois existantes en la matière afin d'identifier les lacunes ou incohérences susceptibles de les affecter. En prenant de front ces questions, les législateurs peuvent fournir un cadre clair, en veillant à ce que les droits et les responsabilités des individus concernés soient correctement définis et protégés. La consultation au niveau des États est cruciale pour harmoniser ces réglementations. C’est par exemple le cas au niveau de l’UE, mais aussi dans le cadre de ce tout nouvel accord qui entrera en vigueur à partir du 1er juillet dans 10 pays européens. En engageant le dialogue entre États, il devient possible de créer des règles plus cohérentes et homogènes qui tiennent mieux compte du travail à distance.

Toutefois, il est complexe de modifier les lois nationales en matière de fiscalité et de sécurité sociale dans le seul but de répondre aux besoins des travailleurs à distance. Ces lois sont profondément ancrées au niveau national et impliquent des considérations financières et administratives importantes. Néanmoins, en participant aux négociations, les pays peuvent établir des accords qui permettent aux employés à distance de s'y adapter plus facilement, par exemple dans le cadre de l'emploi transfrontalier.

L'OCDE et l'UE envisagent d'adapter les règles en matière de fiscalité et d'emploi. Qu'en pensez-vous ?

Les discussions en cours constituent une étape positive vers la reconnaissance des besoins des travailleurs concernés, dans un monde post-Covid-19. Ces initiatives témoignent d'une volonté de les soutenir et de s'adapter aux évolutions du travail. 

La règle cruciale des 96 jours, qui fixe un seuil pour déterminer les obligations fiscales et de sécurité sociale des employés qui télétravaillent dans différentes juridictions, fait actuellement l'objet de discussions. Cette règle vise à simplifier la charge administrative pour les employeurs et leurs employés à distance, en établissant une limite claire du nombre de jours pendant lesquels un individu peut travailler en dehors de son pays, sans impacter ses obligations fiscales ou sociales. Ce concept reconnaît la nature temporaire du travail à distance et cherche à trouver un équilibre entre les intérêts des employeurs et les droits des employés en « full remote ».

Un autre concept est celui du système de guichet unique, qui vise à rationaliser les processus bureaucratiques pour ces télétravailleurs en créant une autorité centralisée par laquelle ils peuvent s'acquitter de leurs obligations dans plusieurs juridictions. Cette approche tente de mettre en place un système unifié pour le respect des exigences en matière de fiscalité et de sécurité sociale. 

Bien que ces idées soient prometteuses, il existe une inquiétude quant à leurs effets qui pourraient s’avérer contre-productifs. Par exemple, la volonté du Comité économique et social européen d'établir un « système de déclaration normalisé » pourrait en fait introduire de nouvelles exigences pour les employeurs et les travailleurs à distance et accroître les complexités administratives. Il sera essentiel de trouver un équilibre entre la garantie de conformité et la réduction de la bureaucratie inutile afin d'éviter d'imposer des charges excessives.

En définitive, quelles seraient les bonnes mesures à prendre en la matière ?

Une approche audacieuse serait d'intégrer des règles simples, telles que la règle des 96 jours, ce qui apporterait à ceux qui travaillent à distance, à l’étranger, davantage de visibilité sur les modalités qu’ils doivent respecter.

L’intérêt de ce type de régulations réside dans leur simplicité. Elles fixent un délai précis que ces employés doivent respecter afin de ne pas avoir à se soucier des règles fiscales et de sécurité sociale d’une autre juridiction. Cette approche simplifie la mise en conformité et réduit la charge administrative tant pour les employeurs que pour les télétravailleurs. Cependant, il est légitime que l’UE et l’OCDE s'inquiètent des risques d'abus et d’évitement fiscal associés à ces régulations. En l'absence de garanties appropriées, ces règles peuvent être exploitées par des particuliers ou des entreprises cherchant à se soustraire à leurs obligations fiscales.

Bien que la recherche d'un équilibre entre simplicité et prévention de l'évasion fiscale puisse constituer un défi politique, il est essentiel d'explorer toutes les options. Pour trouver cet équilibre, il faudrait mettre en place des garde-fous simples, comme la règle des 96 jours, afin d'éviter les abus, tout en fournissant un cadre clair qui permette aux acteurs concernés de bénéficier pleinement du travail à distance.  

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)