Quand le rêve de reprise devient un cauchemar ou le rôle de l’expert financier dans les contentieux post-acquisition

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Céline Leroy et Anne DebavelaereCéline Leroy et Anne Debavelaere reviennent sur le rôle de l’expert financier dans les contentieux post-acquisition.

L’acquisition d’une société est une opération complexe, pouvant générer d’importantes désillusions tant chez les acheteurs que chez les vendeurs. Ces déconvenues aboutissent souvent à d’importants conflits entre les parties, d’autant que l’incidence comptable et financière sur le prix est conséquente.

Ces contentieux peuvent alors jeter un sérieux froid dans les beaux rêves que suscite une reprise…

Ainsi, et à la fois parce que les questions techniques soulevées sont d’une complexité croissante et parce que les exigences sont de plus en plus fortes quand il s’agit de calculer des demandes financières, de les justifier ou d’en démontrer le bien-fondé, le recours aux experts financiers devient une pratique de plus en plus prisée en matière de contentieux post-acquisition.

Les diligences de l’expert financier sont alors nombreuses et peuvent, par exemple, consister à étudier le contrat d’acquisition et analyser de manière détaillée les caractéristiques des clauses mises en jeu, à identifier les agrégats comptables / financiers concernés par la mise en œuvre de la clause ou encore à comprendre les problématiques afférentes à l’application de la clause (interprétation, technicité de la clause, etc.).

Par ailleurs, le contrat d’acquisition implique une exécution de bonne foi par les parties de leurs obligations, ce qui n’est pas toujours respectée. C’est ainsi que l’un de nos clients s’est vu demander le remboursement des créances non encaissées et couvertes par une clause de garantie. Faisant dès lors appel à l’application d’une clause d’audit inclus au contrat de cession, ce dernier a pu vérifier la bonne foi, ou non, du repreneur (un groupe européen de services numériques aux entreprises) et découvrir, par la suite, que le faible recouvrement des créances était principalement du fait de l’acquéreur lui-même et non du créancier ou de la nature des créances. Le contentieux prenait alors une autre allure…

En outre, fréquentes sont les situations où les interprétations peuvent diverger. Difficile alors de garder la tête froide ! Ainsi, en complément de l’analyse comptable et financière des ajustements que l’expert financier peut apporter, ce dernier permet souvent de prendre du recul face aux enjeux du litige. Par exemple, notre principal apport lors d’un contentieux post-acquisition a été d’identifier les ajustements stratégiques permettant de passer en dessous du basket, i.e du seuil de déclenchement de la mise en jeu de la garantie (en cumul) et donc d’annihiler la réclamation… La clé du contentieux avait été trouvée…

La gestion de la procédure en elle-même de ces contentieux peut enfin prendre une dimension stratégique. En effet, si une première phase amiable s’enclenche, permettant aux deux parties de chercher un consensus, une seconde phase judiciaire se déclenche si les acheteurs et les vendeurs ne parviennent pas à se mettre d’accord et aboutit alors à une décision de la juridiction concernée. Cette décision est alors opposable et imposée aux parties, mettant fin au litige en cours. Rien n’est alors pire que de ne pas avoir anticipé cette problématique comme nous le montre notre expérience.

Car une fois la période de la lune de miel passée et le « divorce » entamé, la difficulté croît pour trouver un consensus. Mieux vaut ainsi avoir convenu des modalités de gestion de ces contentieux dès la phase contractuelle. Et les clauses de règlement des litiges sont alors essentielles pour maitriser les contentieux post-acquisitions. Modulables, elles peuvent définir le mécanisme d’escalade des procédures avec l’indication des délais, les caractéristiques de l’expert indépendant (voir son nom) ainsi que la juridiction compétente (judiciaire, arbitrale, médiateur, etc.).

Ajoutons également que les « modes alternatifs de résolution des conflits » (MARC) constituent dorénavant une alternative séduisante à la résolution judicaire lors de la seconde phase du contentieux. Tendances de fond, ces nouveaux modes de règlement des litiges économiques prennent principalement la forme d’un arbitrage (un tiers en dehors du système judiciaire est alors en charge d'instruire l'affaire, d'écouter les parties et de prendre une décision), d’une conciliation (un tiers nommé dans le cadre d'une procédure judiciaire ou en dehors d'une procédure judiciaire est alors en charge d'écouter les parties et de leur faire une proposition de règlement du différend) ou d’une médiation (un tiers accompagne alors les parties dans leurs réflexions afin de les amener à trouver la solution la plus satisfaisante possible pour elles). Présentant l’avantage commun de placer le débat entre les parties au centre du processus de résolution, les instances issues des MARC semblent donc particulièrement à mêmes d’appréhender l’intention des parties. Par ailleurs, moins contraintes par le droit et parce que certains modes de résolution le prévoient ipso facto (c’est le cas de l’arbitrage notamment), ces instances alternatives s’avèrent plus armées que les instances judiciaires pour aboutir à une solution en équité plutôt qu’en droit et donc plus enclins, dans leurs décisions, à respecter l’équilibre économique initial du contrat. Cette nouvelle tendance constitue ainsi une véritable opportunité pour les parties lors de la rédaction du contrat.

En conclusion, s’agissant du contentieux post acquisition et plus généralement des contrats d’acquisition, le challenge est donc celui-ci : combiner l’expérience de tous (juristes, avocats, financiers, opérationnels et même expert financier) pour arriver à la meilleure gestion possible. Mais l’expert ne doit pas être uniquement « un super technicien comptable », il doit être en mesure d’appréhender l’ensemble des enjeux du contentieux post-acquisition pour devenir un vrai stratège.

Céline Leroy est associée Litigation & Forensic au sein du cabinet Eight Advisory
Anne Debavelaere est manager Litigation & Forensic au sein du cabinet Eight Advisory


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