Le stress lié à la profession d'Avocat

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Bruno Lefebvre - Consultant en prévention des risques psychosociaux - AlterAllianceBruno Lefebvre est membre de la commission "Qualité de vie", constituée sous l’impulsion de Christiane Féral-Schuhl, Bâtonnier désigné, présidée par Karine Mignon-Louvet, présidente de la commission "Prospective" au CNB, commission qui a pour mission d’investiguer sur les versants préventifs et curatifs, les moyens dont dispose l’avocat pour faire face au stress et aux risques psychosociaux (RPS), que ce soit à titre individuel, dans ses relations avec ses collaborateurs ou bien ses associés. Il est intervenu notamment à la Convention Nationale du Conseil National des Barreaux le 20 octobre 2011 à Nantes, sur le thème "Avocat et Psychologie". Il revient pour le Monde du Droit sur le stress lié à la profession d'Avocat.

Quels sont les facteurs de stress spécifiques aux avocats?

Le facteur de stress le plus spécifique (qu'ils partagent avec les dirigeants) est lié au poids de leur responsabilité : responsabilité juridique, responsabilité vis-à-vis de leurs clients qui sont souvent personnellement très engagés dans leurs affaires.
 
Le facteur de stress le plus lourd consiste en  la combinaison de deux facteurs : la surcharge de travail les situations d'urgence dus à des échéances non-négociables.
 
Le troisième facteur de stress est le vécu de situations de conflits : l'avocat lutte pour faire passer ses idées : que ce soit vis-à-vis d'un juge ou dans la négociation d'un contrat, l'avocat doit convaincre, parfois dans un contexte de désaccord ou de conflit. Ces situations de conflit se retrouvent parfois au sein même ses cabinets, entre associés. Il est à noter que les avocats sont rarement formés au management, alors qu'ils sont parfois en charge d'équipe, même sans lien de subordination.
 
Quatrièmement : Le manque de cloisonnement entre vie professionnelle et vie personnelle : le travail de l'avocat s'invite souvent dans sa vie personnelle, aidé en cela par les nouvelles technologies permettant un accès permanent à son Cabinet. Par ailleurs les avocats sont souvent très attachés à leur métier, parfois une véritable vocation trans-générationnelle. Il est ainsi beaucoup plus difficile de prendre du recul par rapport à une activité que l'on a choisie et qui donne beaucoup de reconnaissance.
 
Cinquièmement, la prise en compte tardive de ces sujets par les avocats : plus habitués à s'occuper des autres qu'à se préoccuper d'eux-mêmes, ils attendent souvent que les conséquences du stress soient aggravés pour s'en préoccuper. D'autant que leurs ressources personnelles fortes et leur combativité leur permettent de "tenir" longtemps.

Quelles sont les manifestations du stress chez l'avocat ?

Un signe précoce est la restriction des temps de plaisir : loisirs, temps relationnels (au travail et en dehors), la diminution du temps passé en famille ou dégradation de la qualité de ce temps
 
Les manifestations sont aussi physiques : les symptômes physiques peuvent se montrer extremement diversifiés. (troubles du sommeil, troubles de l'appétit, perte ou gain de poids brutal, douleurs musculaires, articulaires, cardio-vasculaires...) Ces troubles sont souvent traités sur le plan physique, mais leur cause "psychologique" est plus rarement investiguée et traitée.
 
Les manifestations du stress sont parfois liées à des comportements à risque : consommation excessive d'alcool, consommation de stupéfiants, tabac. L'effet recherché dans ces consommations est souvent autant la stimulation pour arriver à "tenir" face à des conditions de travail difficiles qu'à trouver une détente ou un apaisement après voire pendant la journée.
 
Les dommages liés au stress vont parfois jusqu'à un isolement, tant personnel que professionnel. Ces avocats isolés sont alors démunis en terme de soutien relationnel lorsqu'ils rencontrent des difficultés. Parfois honteux de leur difficultés, ils s'isolent alors davantage.

Quels sont les signes de danger ?

Le stress est dangereux lorsque ses conséquences sont installées : chacun peut traverser des périodes de stress de temps à autre, le danger commence lorsque le stress fait partie du quotidien : l'Avocat trouve normal d'avoir une boule au ventre tous les matins, le dimanche soir ou la nuit... Plus l'on trouve normal d'être stressé, moins l'on prêtera attention aux dommages du stress et plus ceux-ci augmenteront.

Qu'en est-il du stress des femmes avocats ?

La profession s'est considérablement féminisée ces dernières années sans toujours prendre suffisamment en compte les contraintes spécifiques des femmes, construisant par là-même un facteur de stress supplémentaire pour elles. Citons par exemple les femmes "associables" dans leur cabinet et pas encore associées pour les raisons sexistes peu avouables que l'on peut imaginer, ou la difficile conciliation d'une vie de mère de famille avec les impératifs horaires du métier d'Avocat. Ce fait explique peut-être que quatre femmes sur dix quittent la profession d'avocat après moins de dix années d'exercice. Le télétravail est notamment l'une des solutions encore peu acceptable culturellement mais souvent évoquée par les avocates.

Que faire pour lutter contre le stress? 

  • Les solutions sont d'abord collectives :

Au niveau du Conseil National des Barreaux, Maitre Karine Mignon-Louvet est particulièrement impliquée sur ces sujets  (lire à ce sujet l'excellent rapport "Avocat et Psychologie", adopté en AG du CNB, mai 2010. Elle précise d’ailleurs : «  la profession qui est en pleine mutation a pris conscience tardivement mais surement maintenant des problèmes de RPS au niveau collectif et les actions sont mises en place au sein de la profession dans son ensemble te dans les barreaux. Il reste un travail énorme à effectuer auprès de chaque confrère qui s’il est conscient des difficultés du métier n’a pas forcément conscience de ses propres difficultés et n’arrive pas à en parler. »

Au niveau des cabinets, particulièrement ceux de taille importante, des démarches de prévention du stress et des risques psychosociaux peuvent être entamées : elles supposent une étape diagnostique (quantitatif et qualitatif, investiguant tant les facteurs de stress que les ressources déployées face à eux). Elles supposent aussi un engagement fort de la direction de ces cabinets s'appuyant à la fois sur une réflexion concernant les conditions de travail, une définition concertée de "bonnes pratiques" de management et un accompagnement-formation à l'adoption de celles-ci. L'encadrement doit en outre être sensibilisé à la prévention du stress et bénéficier de temps d'échanges et de partage entre pairs sur ces sujets afin que de bonnes pratiques soient élaborées collectivement. Les conditions de travail gagnent  aussi à être questionnées et améliorées par un comité paritaire.

Dans les plus petits cabinets, un accent particulier sera mis sur la construction et le maintien d'un collectif soutenant pour chacun de ses membres : des temps d'échanges entre pairs seront organisés et animé par un tiers : ils auront pour objectif d'offrir un temps de prise de recul par rapport au quotidien, visant à travailler collectivement les problématiques récurrentes vécues par chacun : il s'agira ainsi de mettre le Travail et le Management au coeur des échanges afin d'élaborer de concert les meilleures pratiques.

  • Les solutions sont aussi individuelles :

Nous encourageons les avocats à prêter attention à leur stress, dès l'apparition de "signaux faibles" et à s'interroger dès lors sur le "cout" du stress pour eux, sur le plan de la santé, de l'équilibre familial, du respect de leurs valeurs de vie et finalement, de leur efficacité professionnelle à long terme. Cette prise de conscience du stress à l'aune de ses conséquences constitue une étape décisive. Une fois cette étape réalisée, l'avocat construit souvent de lui-même et assez facilement les plans d'action lui permettant d'exercer son métier avec moins de stress : les décisions qu'il applique alors sont souvent celles auxquelles il avait pensé depuis longtemps, mais sans arriver à les mettre en place durablement!

A la manière de certains managers ou dirigeants en entreprise, de plus en plus d'avocats font le choix d'un accompagnement de type "coaching" visant à les aider à prendre du recul par rapport à leur quotidien afin de construire avec l'aide d'un tiers une acquisition de compétences sur le plan comportemental, émotionnel ou relationnel. Ces coachings peuvent aussi viser à accompagner l'avocat dans une période de changement (par exemple, passage de collaborateur à associé)

Bruno Lefebvre, Consultant en prévention des risques psychosociaux, associé chez AlterAlliance, psychologue clinicien


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