Le Rapport Perben : des propositions attendues mais encore insuffisantes

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Tribune du Comité JUREM (Les Juristes en Marche !) sur le Rapport Perben.

Le projet de réforme des retraites et le confinement des tribunaux ont agi comme un puissant révélateur de la fragilité de la profession d'avocat qui, au cours des trois dernières décennies, a davantage évolué qu'au cours des deux siècles précédents : croissance démographique exponentielle, développement du numérique et de l'intelligence artificielle, concurrence des autres professions du droit … les avocats ont dû affronter une mutation accélérée.

Un sentiment de déclassement

Un sentiment profond de précarité et de crise s'est ainsi emparé de la profession. Celui-ci repose sur une disparité criante de revenus : 50 % des structures sont des cabinets individuels qui génèrent 7 % des revenus, quand les cabinets plus importants (au-dessus de 15 avocats) représentent 3 % de la masse mais 41 % des revenus (analyses EY, données issues de l'enquête CSA Projets de réforme décembre 2014).

Et c'est la forme d'exercice de la profession la plus traditionnelle, celle qui s'exerce devant les tribunaux, et qui représente, pour la majorité de nos citoyens, son essence même, qui serait aujourd'hui menacée. 

Un rapport au chevet de la profession

C'est dans ce contexte que Dominique Perben vient de remettre, le mercredi 25 août, son rapport, commandé en mars 2020 par Nicole Belloubet, alors ministre de la Justice.

Afin de tenter de dissiper le malaise persistant qui règne chez les avocats, ce rapport propose 13 recommandations.

La plupart de ces propositions (améliorer la situation économique des avocats, notamment par une augmentation de l'aide juridictionnelle, la qualité des services rendus au justiciable, mieux protéger les collaborateurs contre la perte de collaboration, favoriser l'égalité hommes/femmes, moderniser les structures professionnelles, prendre en compte les évolutions à venir de l'intelligence artificielle ou associer les avocats à la vie des juridictions), par nature consensuelles, ne suscitent ni enthousiasme, ni rejet.

D'autres propositions (améliorer les relations entre les magistrats et les avocats, favoriser l'interprofessionnalité ou protéger le secret professionnel) figurent à l'agenda du nouveau Garde des Sceaux. Certes louables, elles demeurent cependant, comme les premières, dépourvues d'effet de surprise.

Deux d'entre elles (attribuer la force exécutoire à l'acte d'avocat et autoriser un accès aux capitaux extérieurs) sont innovantes et méritent donc d'être soulignées, même s'il conviendra de suivre leur concrétisation ultérieure, car elles demeurent à ce stade peu détaillées.

Un rapport peu ambitieux en matière de financement de la justice et d'évolution de la profession

Mais tout cela reste bien peu, en particulier au regard de deux thématiques sur lesquelles le rapport pêche particulièrement : le financement de la justice et la consécration du statut de l'avocat en entreprise.

Sur le premier point, le rapport Perben propose, afin de dégager de nouvelles ressources, de réintroduire un timbre de 50 euros pour toute procédure judiciaire. Il s'agit d'une mesure déjà soutenue par le rapport Moutchou-Gosselin, qui s'appliquerait indistinctement à tous, même aux plus modestes. Or, il nous semble plus judicieux, comme nous l'avons déjà proposé, d'envisager d'autres moyens de financement de la justice, comme une taxe proportionnelle aux montants demandés sur les gros contentieux, qui pourrait fluctuer en fonction du montant du litige et de l'attitude procédurale des partie. Cette mesure permettrait de dégager d'avantage de ressources financières, tout en apurant les tribunaux de certains contentieux abusifs.

Quant à l'avocat en entreprise, le rapport Perben fait l'économie de se pencher sur sa création, alors que ce statut constitue, selon nous, un socle de souveraineté juridique, d'attractivité et de modernité de la profession. Comme nous l'avons également préconisé, les contours de ce statut pourraient être affinés dans le cadre d'une expérimentation locale, au sein d'un ou plusieurs barreaux, associant étroitement syndicats et instances ordinales (CNB et Conférence des bâtonniers). Par l'adoption d'une telle mesure, comparable à l'expérimentation récemment mise en œuvre en matière de tribunaux criminels, le législateur franchirait le premier pas vers la création d'un statut à la fois protecteur et valorisant pour la profession d'avocat, lui permettant d'envisager de façon sereine et pragmatique le défi de sa pérennité.

En proposant des mesures attendues et convenues sans traiter davantage ces deux aspects, le rapport Perben prend le risque de ne pas mener à bien l'exercice nécessaire de rénovation de la profession, au moment où les temps incertains que nous traversons nous rappellent, au contraire, que seules des réformes ambitieuses permettent de préparer le long terme dans les meilleures conditions.

Le Comité JUREM (Les Juristes en Marche !)


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