Laura Grouberman : « La transparence des rémunérations est perçue comme un moyen d'améliorer l'attraction et la rétention des talents »

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Dans le contexte de la future transposition de la directive européenne sur la transparence des rémunérations dans le droit français, prévue pour le 7 juin 2026 maximum, Laura Grouberman, directrice de l'activité Work, Rewards & Careers chez WTW en France, commente les résultats d'une étude réalisée par WTW France. Cette enquête se penche sur les réactions et préparatifs des entreprises françaises face aux nouvelles exigences en matière de transparence des rémunérations, notamment sur les écarts salariaux entre femmes et hommes.

Quels sont les objectifs de la directive sur la transparence des rémunérations ?

La directive européenne sur la transparence des rémunérations a pour but principal de rendre les pratiques de rémunération plus transparentes et donc plus équitables au sein des entreprises. Les points clés incluent l'obligation pour les entreprises de communiquer des fourchettes de rémunération à l'embauche sans demander l'historique salarial des candidats, l'introduction de mesures de communicationsur les écarts de rémunération entre hommes et femmes pour un travail de même valeur, et l'exigence pour les entreprises de calculer et publier ces écarts de rémunération.

La méthode spécifique pour calculer les écarts de rémunération n'a pas encore été clairement établie, ce qui signifie que les détails précis restent inconnus à ce stade. Cependant, il est entendu que les entreprises seront tenues de continuer à identifier et à communiquer ces différences salariales. De plus, elles devront introduire des mesures correctives si des écarts de plus de 5 % sont détectés entre les catégories de salariés. Ces écarts doivent être justifiables par des critères objectifs. Dans le cas contraire, siles différences ne peuvent être expliquées de manière objective, les entreprises seront obligées de prendre des mesures correctives pour résoudre ces inégalités.

Un aspect crucial est le renversement de la charge de la preuve en cas de discrimination salariale présumée, passant désormais à l'employeur.

Quelles seront les entreprises concernées par cette directive ?

Tous les employeurs de l'Union européenne, qu'ils appartiennent au secteur privé ou public, quelle que soit la taille de l'organisation, seront concernés par cette directive. Elle s'appliquera aux employeurs ayant au moins un salarié. Néanmoins, le calcul des écarts de rémunération s’appliquera aux entreprises d’au moins 100 salariés.

Où en sont les entreprises françaises en matière de transparence salariale ?

Les entreprises françaises sont en phase de prise de conscience et de préparation à la directive. Notre enquête menée en 2023 a montré que beaucoup d'entre elles considéraient qu'il était encore tôt pour mettre en place les démarches requises par la directive. Cependant, en 2024, on observe une demande croissante des entreprises pour se préparer à cette directive, indiquant une prise de conscience sur la nécessité d’agir au plus tôt.

La transparence des rémunérations va-t-elle favoriser la rétention et l'attractivité des talents ?

Oui, la transparence des rémunérations est perçue comme un moyen d'améliorer l'attraction et la rétention des talents. Elle s'inscrit généralement dans une vision globale autour de la diversité, de l'inclusion, et de l'alignement avec les valeurs de l'entreprise, offrant une opportunité de se différencier sur le marché.

Quels sont les principaux obstacles à la transparence des rémunérations ?

La principale préoccupation soulevée par l'enquête est la crainte des réactions des employés. Historiquement, en France, parler de rémunération est un sujet délicat et souvent considéré comme tabou, contrairement à d'autres pays où cela peut être perçu différemment. Ainsi, 60% des entreprises expriment leur inquiétude face à l'augmentation potentielle des questions et des réactions de la part de leurs employés, ce qui constitue un obstacle majeur à une communication plus transparente sur les rémunérations.

Un autre obstacle mentionné dans l'étude est le fait que les politiques actuelles de rémunération ne sont pas en état d'être partagées publiquement. Ceci s'explique par plusieurs facteurs : les entreprises n'ont pas toujours réussi à établir clairement ce que constitue un travail de valeur égale, elles ne disposent pas systématiquement d'un système de classification des postes adéquat, et les données nécessaires pour réaliser ces analyses et comparaisons ne sont pas toujours accessibles. En résumé, les entreprises indiquent que leurs structures et politiques de rémunération ne sont pas encore prêtes pour être communiquées.

Enfin, le soutien de la part des dirigeants quand on s'engage sur un projet de cette ampleur est essentiel. Il s’agit d'un changement culturel pour les entreprises, il faut donc que les dirigeants puissent accompagner ces changements et construire la manière dont ce projet va servir les ambitions de l'entreprise.

Pourquoi est-il important que les entreprises commencent dès maintenant à se préparer à la directive ?

Se préparer tôt permet aux entreprises de devenir des précurseurs, créant un avantage concurrentiel. De plus, le processus de conformité peut être long et complexe, nécessitant des changements culturels importants au sein des entreprises.

Y a-t-il d'autres éléments intéressants issus de votre étude sur la transparence des rémunérations ?

L'étude a révélé que les managers sont le principal canal de communication pour la politique de rémunération, mais il existe un besoin de les former et de les accompagner efficacement dans ce rôle. De plus, la transparence des rémunérations est un sujet suivi au plus haut niveau des entreprises, souvent par le Comité d'administration ou le Comité des rémunérations, soulignant l'importance et la visibilité de cette thématique.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier


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