Projet de "class action à la française" : entretien avec Eric Barbier de La Serre

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Eric Barbier de la Serre, Class action à la française, Jones DayLe Monde du Droit a rencontré Eric Barbier de La Serre, Avocat Associé du cabinet Jones Day, qui nous propose un éclairage concernant le projet de "class action à la française". 

Pourquoi instaurer une "class action à la française"?

L’instauration d’une action de groupe en France permettrait d’agréger un grand nombre de plaintes individuelles provenant de personnes ayant subi un même préjudice. Elle aurait également une fonction préventive, car elle disciplinerait le comportement des entreprises. Il s’agit sans doute d’intentions louables, mais elles ne sont pas sans risques sérieux, tant pour la compétitivité des entreprises que pour les consommateurs eux-mêmes. Ces derniers ne doivent en effet ni se faire capturer par leurs représentants, ni voir leur indemnisation individuelle dénuée de tout intérêt en raison des coûts de l’action. Par ailleurs, la crise très sévère que connaît l’Europe n’est pas la meilleure période pour s’essayer à de telles procédures et ainsi faire peser de nouvelles contraintes sur les entreprises. Il convient en tout cas de faire preuve de beaucoup de prudence

Existe-t-il un risque d'une dérive vers une "class action à l'américaine" ?

Tant qu’un cadre juridique précis et mesuré ne sera pas défini pour la mise en place d’une class action à la française, les risques de dérive vers une class action à l’américaine doivent être gardés à l’esprit. Ces class actions font peser de lourdes charges sur les entreprises américaines et, très souvent, les dommages perçus sont sérieusement ponctionnés par les représentants du groupe, privant parfois même l’action de tout intérêt pour les consommateurs.

Que préconisez-vous pour éviter cela ?

Tout d’abord, la France devrait opter pour un mécanisme d’opt in, lequel impose aux membres du groupe de manifester expressément leur volonté de participer à l’action en justice. En effet, dans un mécanisme d’opt out, les membres du groupe ne doivent accomplir aucun acte formel afin d’intervenir à la procédure, ce qui est radicalement contraire à notre culture juridique.
Ensuite, l’action devrait être réservée à des représentants soumis à un strict contrôle de l’État, afin de s’assurer qu’elle garde un intérêt pratique significatif pour le consommateur.
Enfin, il convient de trouver un moyen permettant aux entreprises d’éviter les chantages au procès qui les amèneraient à transiger pour éviter une publicité très négative. C’est sans doute l’un des points les plus compliqués à résoudre et, de fait, les projets qui ont circulé semblent encore trop peu protecteurs sur ce point.

Qu’en est-il du risque d’engorgement des tribunaux ?

Le risque existe, même s’il ne figure pas au premier rang de ceux à prendre en compte. Mais il faut en tout cas garder à l’esprit que la procédure sera longue. Le dernier projet concret présenté en décembre 2011 prévoit ainsi deux phases judiciaires, la première visant à la reconnaissance de responsabilité et la seconde servant à la fixation des dommages. Or le passage à la seconde phase ne pourrait avoir lieu qu’une fois la première décision définitive. Quant à la seconde décision, elle pourrait impliquer un long travail de vérification des créances.

La "class action" ou "action de groupe" constitue-t-elle une nouvelle opportunité pour les avocats ?

Pour les avocats exerçant outre-Atlantique, la class action constitue un très gros marché qui a poussé à la spécialisation, en particulier du côté des demandeurs. Mais c’est aussi parce que ce sont ces avocats qui le plus souvent financent l’action, dans l’espoir d’être rémunérés grâce aux dommages et intérêts versés en cas de victoire. En France, de tels mécanismes ne sont pas autorisés, du moins pas dans la même mesure. À ce stade, il n’y a pas de raison de croire que les règles changeront sur ce point. Bien sûr, l’instauration d’une action de groupe constituerait une nouvelle opportunité pour les avocats. Il semble toutefois peu probable qu’il en résultera une nouvelle spécialisation, à tout le moins du côté défendeurs.

 

 

Propos recueillis par Arnaud DUMOURIER


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