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Frédérique Berthier, Deputy General Counsel for EMEA & Group M & A Manager ImerysInterview de Frédérique Berthier, Deputy General Counsel for EMEA & Group M & A Manager Imerys.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée au sujet du knowledge management juridique ?

J’ai démarré ma carrière dans des cabinets d’avocats anglo-saxons avec une forte tradition de knowledge management. J’ai donc appris mon métier dans un environnement où le knowledge management s’appliquait principalement à la standardisation des modèles de contrats permettant l’utilisation de clauses-type (celles qui ne sont pas négociées) et pour les clauses devant être négociées, le meilleur de la pratique du cabinet. J’ai donc découvert très tôt le gain d’efficience que le knowledge management apportait à la pratique contractuelle qui constituait la richesse du cabinet et qui devait donc être partagée entre tous les avocats. Je suis convaincue que le knowledge management peut apporter gain de temps et amélioration de la pratique contractuelle également dans les directions juridiques.

Quel est l’historique du KM pour la direction juridique d’Imerys ?

J’ai été recrutée par Denis Musson, directeur juridique Groupe d’Imerys, pour plusieurs missions. La première était d’internaliser la fonction Fusions-Acquisitions, qui se prête particulièrement bien à l'utilisation de précédents et modèles ; la seconde était de mettre en place des "best practices" notamment par l'organisation du knowledge management au sein de l’équipe juridique. En effet, l’organisation juridique était (et est toujours) calquée sur l’organisation opérationnelle d’Imerys, très décentralisée et comportait donc deux risques : des niveaux de standardisation des contrats très différents selon les entités du groupe et des expertises sur des domaines du droit ou des thématiques juridiques parfois insuffisamment partagées au sein de l’équipe juridique avec des risques de travail en silo et de duplication des tâches. Mon objectif était donc double : promouvoir la standardisation de certains types de contrats et organiser le partage des expertises spécifiques. Le knowledge management peut être une philosophie mais il répond surtout à une réalité économique : l’entreprise n’a plus les moyens d’avoir une pléthore de juristes ni de systématiquement faire appel à des cabinets d’avocats. Il faut donc rentabiliser le temps des juristes qui ont pu développer une expertise spécifique ainsi que les opinions d’avocats en les rendant accessible et en les partageant.

Quels sont les enjeux du KM pour une direction juridique ?

On assiste chez nous, comme dans d'autres directions juridiques, à une augmentation de la charge de travail des juristes pour diverses raisons : l’environnement de l’entreprise change de plus en plus vite, les négociations sont de plus en plus sophistiquées, le temps entre les échanges s'accélère. Globalement, on constate une augmentation importante de la chose juridique dans l’entreprise, un besoin accru de performance des juristes à qui on demande une réactivité de plus en plus grande et un apport croissant de valeur ajoutée (passage d'un rôle de "gardien du temple" au rôle de stratège juridique). Le KM juridique selon moi peut véritablement permettre aux juristes de répondre plus vite et plus efficacement aux demandes des opérationnels afin qu'ils se consacrent davantage aux tâches où leur apport de valeur ajoutée est le plus élevé.

Que peut apporter à une direction juridique une démarche de KM ? Avez-vous des exemples concrets de bénéfices pour les juristes ou pour l’entreprise ?

Le premier bénéfice que je vois est la cohésion de l’équipe juridique, car une fois que l’équipe est convaincue des bienfaits du KM, on parle plus facilement le même langage, l’entraide entre juristes se développe tout comme la pédagogie vis-à-vis des opérationnels. Un autre bénéfice est l’appréhension beaucoup plus rapide d’une nouvelle problématique juridique. Les juristes ont maintenant le réflexe d’interroger les autres juristes s’ils sont confrontés à une nouvelle problématique - c’est particulièrement le cas en droit européen où une question juridique donnée concerne potentiellement tous nos juristes européens. Enfin, toujours dans une optique de "stratégie juridique", partager les précédents de contrats permet de faire du benchmark également sur les conditions économiques des contrats ayant le même objet. Par exemple, nous avons eu récemment à négocier des contrats d’installation de fermes de panneaux photovoltaïques dans des divisions séparées et la collaboration entre les juristes et le partage de leurs expérience de négociation a permis aux opérationnels du Groupe d'obtenir de meilleures conditions (en termes financier, de durée etc.).

Quels conseils donneriez-vous à une direction juridique qui souhaite mettre en place une démarche KM ? Quels pièges faut-il éviter ? A quelles difficultés faut-il s’attendre ?

Tout d’abord, il ne faut pas sous-estimer l'inertie des habitudes de travail car un juriste n’abandonnera pas du jour au lendemain ses façons de faire. Il faut prendre en compte la dimension "conduite du changement" car ce n’est pas anodin de mettre en place une démarche de knowledge management dans une équipe juridique. Et comme toute démarche qui nécessite un changement de mentalité, il faut donner du temps au temps. Le piège principal est de mettre en place un outil informatique trop sophistiqué ou des procédures trop contraignantes qui font perdre au démarrage beaucoup plus de temps aux juristes qu’il ne leur en fait gagner. Il faut par exemple simplifier au maximum les formulaires d'enregistrement de précédents, quitte à limiter ses ambitions, pour favoriser le partage des connaissances.

Côté outils, que faut-il privilégier ? Intranet juridique, outils métiers, outil de veille... Comment avez-vous procédé ?

Ma recommandation porte sur un outil le plus simple possible et qui permet de partager autre chose que la matière juridique. Nous avons fait le choix de mettre en place à côté des outils métiers indispensables et sophistiqués (base de données des contrats, des sociétés, des assurances) un intranet juridique où l’équipe partage à la fois les nouvelles des juristes (mariage, naissance...), des informations utiles communes (liste des avocats recommandés, organigrammes etc.) et de la matière juridique (opinions d’avocats, articles de doctrine, newsletters, modèles de contrats...)

Il nous a semblé que la mise en place d'une démarche de partage de connaissance et d'expertise passait avant tout par le développement d'un sentiment d’appartenance à une même famille juridique pour renforcer d'abord la cohésion de l’équipe. Nous avons également, parallèlement à la création de cet outil informatique, créé un système de "référents" dans l'équipe par sujet d’expertise (ex : data protection, transport, énergie etc.). qui font de la veille juridique et peuvent conseiller et orienter les autres juristes dans leur domaine de référence.

Quel serait selon vous l’Intranet juridique idéal ? Est-ce réaliste et réalisable ?

Depuis mon arrivée chez Imerys et la création de notre intranet juridique, les outils ont beaucoup évolué vers le partage sous forme de communautés. Les juristes les plus jeunes de l'équipe sont habitués à communiquer au sein de communautés (amicales, professionnelles etc.) et l’intranet juridique idéal devrait aujourd'hui répondre à ce besoin de communication en réseau, plus instantanée, plus immédiate et qui remplace souvent le téléphone ou l’e-mail qui ne sont pas toujours adaptés. L’intranet juridique idéal devrait être une sorte de bureau virtuel pour éviter l’usage des disques durs personnels, non partagés, trop volumineux et potentiellement insuffisamment sécurisés. Cela permettrait aux juristes d’avoir en permanence le même niveau d’informations à jour et sans duplication (par exemple la toute dernière version de telle présentation juridique faite dans le groupe ou projet de contrat), et tout cela, d’un clic.

Propos recueillis par Maylis Bayvet

 

A propos

jem15Cet article provient du numéro 15 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial est consacré au Knowledge Management.

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